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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/109

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Meuse. Elle le restera pendant des siècles. La situation nouvelle, qui s’est réalisée malgré la volonté du pays, est un ferment de discorde pour l’avenir. L’aristocratie mécontente a derrière elle une puissance pour la soutenir. Ses mœurs l’attirent plus à l’ouest qu’à l’est. Il y a là un danger futur. Dans ce territoire se répercuteront à travers l’histoire les oscillations de la prépondérance politique.

La Lotharingie est devenue un duché d’Allemagne malgré elle, parce que l’Allemagne était plus forte que la France.

Cette puissance plus grande ne lui vient ni de ce qu’elle est plus riche, ni de ce qu’elle est plus peuplée. Elle est plus puissante parce que le roi est plus fort. Pourquoi l’est-il ? Pour un double motif : tout d’abord parce que l’évolution sociale y est moins avancée, ensuite parce que la frontière de l’est est attaqué par la barbarie.

L’évolution sociale est moins avancée en ce sens que l’aristocratie locale compte moins de familles puissantes ; plus on s’écarte du Rhin, en effet, moins l’organisation domaniale est développée. Les habitants, beaucoup plus proches encore de leur ancien régime tribal, vivent sous le protectorat provincial d’une dynastie locale. En Saxe et en Bavière surtout, loin des centres, le sentiment de tribu se maintient. Les ducs héréditaires sont reconnus comme de vrais chefs nationaux. Plus proche du Rhin, en Souabe et en Franconie, une situation déjà plus compliquée et plus avancée rend le pouvoir ducal moins national. Au delà, en Lotharingie, il n’en est plus du tout ainsi. Le duc n’est là que le chef de l’aristocratie, sans racines populaires, puisqu’il n’y a pas à proprement parler de nation lotharingienne. Ainsi la situation de l’Allemagne est assez simple. Au lieu d’une multitude de grands, quatre ducs, cinq au plus, disposent du pouvoir. S’ils reconnaissent la nécessité de s’allier au prince qu’ils acceptent comme roi, ils peuvent grouper tout le pays autour de lui.

Et ils le reconnaissent bientôt. Car la situation de l’Allemagne est très périlleuse, non à l’ouest où la question lotharingienne est plutôt dynastique, mais à l’est où elle est nationale. C’est de ce côté, en effet, qu’elle touche à la barbarie, et la décadence carolingienne a fait beau jeu à celle-ci. Les Wendes, le long de l’Elbe et de la Saale, les Tchèques plus au sud, se mettent à assaillir les frontières et bientôt apparaît un plus terrible ennemi, le dernier venu des peuples européens : les Magyars ou Hongrois.