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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/112

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espèces de pages ecclésiastiques. Ils lui doivent tout et partout où ils pénètrent, sous Othon et ses successeurs, ils se distinguent des laïques par l’idée qu’ils se font de ses droits souverains. Leur formation savante et la culture de leur esprit les élève à l’idée de discipline. Par eux, le roi est plus fort, non pas l’État, puisqu’ils en reçoivent une partie. L’évêque Gérard de Cambrai (1012-1031) refuse d’introduire la paix de Dieu dans son diocèse parce qu’il appartient au souverain seul de maintenir la paix publique. Par eux, dès le xe siècle, les Lotharingiens admirent la discipline germanique.

Et ils sont d’autant meilleurs serviteurs qu’ils sont plus instruits. Plusieurs d’entre eux entretiennent des écoles très remarquables. Celles de Liège surtout sont célèbres. La tradition carolingienne ici encore est reprise. Au reste, Othon ni ses successeurs ne se mêlent de questions dogmatiques. Il leur suffit d’avoir l’Église bien en mains. Leur Reichskirche ressemble un peu aux Landenkirchen luthériennes de l’avenir.

Le pape, absolument impuissant, laisse le champ libre à cette grande politique épiscopale du roi d’Allemagne. Loin de chercher à affermir sur lui sa primauté, il s’en fera un protecteur ; Jean XII l’appelle à son aide et, le 2 février 962, reconstitue pour lui la dignité impériale. Elle ne devait que mettre l’Église davantage dans les mains d’Othon, en attendant qu’elle fit éclater sur l’Allemagne la guerre des investitures.

L’acquisition de l’Empire par Othon n’est qu’une conséquence de sa puissance personnelle. Déjà, le marquis d’Ivrie, Bérenger fuyant devant le roi Hugues d’Italie, s’était déclaré son vassal et, en 951, Othon avait franchi les Alpes et pris le titre de roi d’Italie. La péninsule, qui avait un moment été abandonnée à elle-même et n’en avait profité que pour se déchirer, était pour des siècles rattachée à l’Allemagne.

L’intervention d’Othon ne s’y explique pas du tout comme celle des Carolingiens par l’intérêt de la papauté. C’est pour lui une question dynastique, absolument étrangère aussi à l’intérêt allemand. Rien n’attirait l’Allemagne au sud des Alpes. Son intervention dans ce pays est même en contradiction avec son mouvement d’expansion à l’Est. Othon songeait-il déjà à l’Empire quand il a fait cette première expédition ? En tous cas, l’ayant faite, il devait aller à Rome et devenir empereur. Tout pouvoir fort reparaissant en Europe, devait nécessairement graviter vers Rome.