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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/123

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d’habitation, magasins de vivres, logements pour la garnison des chevaliers. Un châtelain, que le prince choisit parmi ses hommes, le remplace dans la circonscription qui porte le nom de châtellenie. C’est ce châtelain qui commande la forteresse, surveille le pays et préside la cour de justice locale. Pour le faire vivre, lui ainsi que les chevaliers du château, des prestations en nature sont imposées à la population ; c’est le principe du traitement qui apparaît et que les rois n’ont pas connu sous la forme d’une redevance fixe due au pouvoir public. Dès le xie siècle, on trouve de plus les traces d’un impôt comtal (petitio, bede), et c’est un nouveau progrès, quelle que soit la forme encore primitive de sa perception et de son assiette. Ainsi, alors que le roi n’a pas de finances en dehors de ses domaines, le prince en organise. De plus, il bat monnaie, car il a usurpé le droit de monnayage comme les autres droits régaliens, et il en tire de beaux bénéfices en altérant les monnaies. Il a aussi le tonlieu et il continue naturellement à participer aux amendes.

A tous les points de vue, son pouvoir est beaucoup plus fort que celui du roi. Car tandis que le roi devient électif, il est strictement héréditaire, et de bonne heure, déjà au xe siècle, le droit de succession unique s’établit, si bien que les principautés ne se démembrent pas. Il est curieux de voir comme elles sont restées fixes depuis lors jusqu’à la fin de l’Ancien Régime qui les a conservées comme provinces. Le prince, dès le xe siècle, a une historiographie. Il a une cour calquée sur celle du roi : chancelier, maréchal, sénéchal, échanson. Il a ses vassaux, qui lui sont plus fidèles qu’il ne l’est au roi, à cause de la proximité et de la disproportion plus grande des forces. Il est avoué de tous les monastères de sa terre et leur impose à son profit des redevances ou des services. Les textes l’appellent princeps, monarcha, advocatus patriae, post Deum princeps.

Il est vraiment le chef de la terre, de la patria et il faut remarquer que dans le latin du Moyen Age, ce beau mot a commencé à être appliqué à ces petites patries locales. C’est là que s’est formé, pour la première fois, le patriotisme qui, chez les modernes, remplace le sentiment civique de l’Antiquité. Il tient du sentiment de famille et s’incorpore dans l’homme qui est le chef et le protecteur du groupe, de père en fils. Ses armoiries deviennent celles de la population. On se rassemble dans la fidélité commune qu’on a pour lui. Il n’a rien existé de semblable sous les Mérovingiens et les Caro-