Aller au contenu

Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 110 —

chevalier sera chevalier. Et dès lors, ce fils, dès sa naissance, est censé faire partie de la caste militaire, et les filles elles aussi, nées d’un père chevalier, participeront à sa situation. Dès qu’on en est là, et on y est, du moins en France, à la fin du xe siècle, la noblesse est née ; c’est-à-dire une classe héréditaire conférant un rang particulier dans l’État indépendamment de la condition sociale. Sont nobiles tous ceux qui appartiennent par eux-mêmes ou par leurs ancêtres à la milicia. La liberté n’est même pas absolument essentielle, puisque des ministeriales n’en sont pas moins considérés, à la longue, comme des nobles[1].

Ainsi la classe des vassaux se confond pratiquement avec la noblesse. Toutefois, la noblesse ne vient pas du fief. On peut en somme faire un chevalier de quelqu’un qui n’a pas de fief et ce n’est qu’assez tard (xiiie siècle) qu’il a été généralement interdit à un roturier de posséder un fief. C’est donc la fonction sociale qui a fait la noblesse mais une fonction sociale qui suppose l’indépendance économique, grâce à la propriété propre (alleu) ou féodale (fief). La noblesse, en réalité, c’est l’armée, une armée héréditaire. Et de là ses privilèges. Ils s’expliquent et ils s’imposent comme contre-partie du service rendu. Le noble ne payera pas au comte d’impôt pour sa terre, parce qu’il lui fournit le service militaire. C’est là le seul privilège proprement dit de la noblesse : elle n’en a pas d’autres. Sa situation juridique spéciale, son statut particulier en matière de famille, la procédure particulière dont elle jouit devant les tribunaux, ne sont que la survivance du droit commun des hommes libres qui s’est altéré pour les vilains.

L’importance de la noblesse gît dans son rôle social. Élevée par ses fonctions militaires au-dessus du reste de la population, en rapports constants avec les princes, c’est elle et elle seule qui fournit le personnel administratif, comme c’est elle seule qui constitue l’armée. C’est de son sein que sortent les châtelains, les maires, tous les agents quelconques de l’administration territoriale. Elle apparaît donc non seulement comme caste militaire, mais aussi comme caste politique. A côté d’elle, il y a le clergé. Sous eux, la masse des roturiers, dont le travail les fait vivre et dont ils s’occupent en retour, l’un à diriger les âmes, l’autre à protéger les corps. Ce n’est pas là une vue théorique a posteriori.

  1. Il n’en sera définitivement ainsi qu’au xive siècle.