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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/151

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il pousse à la laïcisation de l’État, et en fait elle grandira après lui. Qu’on suppose l’Empire triomphant, c’est la théocratie qui l’emporte, un ordre de choses dans lequel des prêtres gouvernent au nom du prince. Au contraire, Grégoire enlève le prêtre du gouvernement. En fait, il pousse l’État dans les voies de la laïcisation.

Il le fait sans s’en douter, ou plutôt il le fait, si l’on veut, par mépris pour les laïques qu’il ne veut pas voir s’ingérer dans les choses de l’Église. Mais il sait bien que les laïques sont dans l’Église et veulent y rester. Henri IV lui-même est un catholique convaincu. Et c’est là justement ce qui fait la force du pape et la faiblesse de son adversaire. Contre le pape, il ne peut employer aucun moyen que des moyens d’Église. Il ne lui vient pas et il ne peut lui venir l’idée de s’opposer à lui en face, au nom des droits qu’il tient — de qui ? — de Dieu. Mais le pape représente Dieu sur la terre. Il le représente tellement que l’empereur ne peut se passer du pape pour son couronnement. Il n’y a qu’un moyen de résister au pape dans l’Église, c’est de faire déclarer par l’Église que le pape est indigne.

Et c’est ce que fait Henri. Il venait enfin de triompher de la révolte des Saxons. Il était libre. Il y avait encore en Allemagne assez d’évêques dévoués au souverain et mécontents, pour agir. Il les réunit à Worms et, le 24 janvier 1076, leur fait déclarer Grégoire indigne de la papauté. Vingt ans seulement s’étaient écoulés depuis que Henri III nommait les papes, mais quelle transformation radicale dans la situation des deux pouvoirs s’était accomplie depuis lors !

Les conservateurs, quand ils n’ont pas de génie, s’imaginent qu’il suffit de restaurer le passé sans tenir compte du présent. Faire déposer un pape par quelques évêques allemands, après un Nicolas II et un Alexandre II, témoignait d’une ignorance complète de l’esprit du temps. Rien ne pouvait mieux servir la cause de Grégoire que cette prétention du roi d’Allemagne de disposer en maître du chef de la catholicité. Il y répondit en excommuniant Henri et en déliant de leur serment tous ceux qui lui avaient juré fidélité. On put alors s’apercevoir que la décision du Synode de Worms n’était pas même acceptée par les princes d’Allemagne. Car, s’ils l’avaient jugée valable, ils n’avaient pas à tenir compte de l’excommunication du roi. Or, tous, à la sentence venue de Rome, répondirent en abandonnant Henri. Pour éviter une révolte générale, le roi n’hésita pas à désavouer