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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/175

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de toutes parts aux nombreuses fêtes religieuses, et l’on se fera une idée de l’activité qui devait régner dans ces petites capitales religieuses. Elles étaient incontestablement plus peuplées et plus vivantes que les « bourgs » mais, pas plus qu’eux, elles ne possédaient rien qui ressemblât à une bourgeoisie. Dans la cité comme dans le bourg, à côté des prêtres, des chevaliers ou des moines, il n’y avait guère que des serfs employés au service de la classe dominante et cultivant pour elle le sol des alentours. Cités et bourgs n’étaient que les centres administratifs d’une société encore toute agricole.

C’est dans les « cités » de l’Italie septentrionale et de la Provence, d’une part, de l’autre dans les « bourgs » de la région flamande, que se sont formées les premières colonies marchandes. Par cela même qu’ils ont devancé le reste de l’Europe dans l’histoire du commerce, ces deux territoires connurent les premières manifestations de la vie urbaine. Les marchands y fondent ça et là, au xe siècle, des établissements sur lesquels on sait d’ailleurs très peu de chose ; au xie s siècle, ils se sont multipliés, agrandis et consolidés. Déjà, dans la cité comme dans le bourg, c’est eux qui jouent désormais le rôle principal. Les immigrants l’emportent sur les anciens habitants, la vie commerciale sur la vie agricole, et leur opposition fait surgir des conflits et nécessite des expédients par lesquels s’élabore, à travers une foule d’essais locaux, un nouvel ordre de choses.

Il faut chercher à se bien représenter, si l’on veut comprendre ce phénomène aux conséquences si fécondes qu’a été la formation des bourgeoisies, toute l’ampleur du contraste qui se révéla dès l’abord entre l’ancienne population et la nouvelle. La première, composée de clercs, de chevaliers et de serfs, vit de la terre, la classe inférieure travaillant pour les classes supérieures qui, au point de vue économique, consomment sans rien produire. Il importe peu que l’on rencontre dans la plupart des « cités » quelques artisans pourvoyant aux besoins de la clientèle locale et un petit marché hebdomadaire fréquenté par les paysans des alentours. Ces artisans et ce marché, en effet, n’ont aucune importance par eux-mêmes ; ils sont étroitement subordonnés aux besoins de l’agglomération qui les renferme, et ils n’existent que pour elle. Il leur est impossible de se développer, puisque cette agglomération elle-même, dont la subsistance est limitée par les revenus du sol qui l’environne, n’a aucune possibilité de s’accroître.