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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/189

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Il est difficile de dire si l’augmentation de la population des campagnes qui se manifeste à la même époque où ses conditions d’existence commencent à se modifier si profondément, se rattache aussi à l’apparition des villes. Après les dévastations des Normands, des Sarrasins et des Hongrois, l’Europe a connu une période de tranquillité relative pendant laquelle l’excédant naturel des naissances sur les décès a dû relever insensiblement le chiffre des habitants. Mais ce n’est que dans la seconde moitié du xie siècle que l’on constate, dans certaines parties de l’Europe, les traces d’un malaise causé par le trop grand nombre d’hommes, et on ne peut guère s’empêcher de croire qu’en apportant aux paysans de nouveaux moyens d’existence, les villes ont contribué, par cela même, non sans doute à augmenter chez eux la fécondité des mariages[1], mais à en augmenter le nombre. Quoiqu’il en soit, il est certain que, dans les Pays-Bas par exemple, la terre cultivée, vers 1050, commence à ne plus suffire aux besoins des habitants. Des événements comme la conquête de l’Angleterre, en 1066, et la Croisade supposent évidemment aussi quelque excès de population, au moins dans le nord de la France.

Il en est de même de l’augmentation rapide du nombre des habitants des villes, et aussi des bandes d’aventuriers mercenaires qui se forment vers la même époque en Italie, à Gênes par exemple, et, sous le nom de Brabançons et de Cotereaux, dans la région française. Depuis le commencement du xiie siècle, on a mieux que des présomptions. Le peuplement des régions d’au delà de l’Elbe par des gens des bords du Rhin, de la Hollande, de la Flandre, ne peut évidemment s’expliquer que par la surabondance du peuple rural de ces contrées.

Ainsi, au moment où l’ancien système domanial a fait son temps et ne répond plus aux besoins d’une société économiquement plus avancée, les hommes s’offrent nombreux à qui voudra leur confier des terres. Les grands propriétaires et surtout les princes territoriaux n’ont pas manqué de mettre à profit une situation si favorable. Ils disposaient en quantité de terrains incultes, car il semble bien que, à l’ouest du Rhin et au sud du Danube au moins,

  1. La fécondité des mariages était très grande tant chez les paysans comme on peut le voir par le polyptique d’Irminon et les chartes monastiques, que chez la noblesse (on verra à ce sujet Gislebert). On ne trouve quelques traces de pré-malthusianisme que chez les princes.