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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/211

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chands les plus importants ne sont que de gros bateliers dont le transit s’alimente au port normand de Rouen. Ainsi, ni sa position géographique, ni ses ressources économiques ne donnent à l’île de France une situation privilégiée. Mais elle est en revanche placée à souhait pour aider la politique royale. Grâce à la position centrale qu’elle occupe, elle touche les diverses régions du pays, et est tout à la fois en rapports avec la Flandre à demi germanique au nord, et, au sud, avec les terres de la langue d’Oc. Elle s’interpose entre les contrastes nationaux comme entre les principautés féodales, elle permet ainsi au roi de garder le contact avec l’ensemble de la France et d’entamer, le moment venu, son œuvre séculaire d’unification et de centralisation.

C’est au début du xiie siècle que commence cette œuvre, et il est caractéristique de constater qu’à partir de la même époque, la prédominance du dialecte de l’île de France sur les parlers provinciaux devient de plus en plus sensible, si bien que la langue française s’est harmonieusement développée de concert avec les progrès du pouvoir royal et que, par une fortune unique dans l’histoire, la formation de l’État a marché de pair en France avec la formation de la nation. Qui sait si les qualités de clarté, de simplicité et de logique que l’on s’accorde généralement à trouver dans le génie français, n’ont pas, dans cet heureux phénomène, leur explication profonde ?

Si faible que la royauté entourée de ses grands vassaux et végétant dans leur ombre fut devenue, elle conservait pourtant en elle le principe de sa future puissance. Car, si la féodalité paralysait en fait le pouvoir royal, elle le laissait intact en droit. Les princes qui nommaient le roi et qui, chacun dans sa terre, avaient usurpé son autorité, n’avaient remplacé la vieille conception monarchique carolingienne par aucune autre. L’idée ne leur vint pas que le roi tenait d’eux son pouvoir et que sa compétence était limitée par leur volonté. Il en était de l’élection du roi comme de l’élection du pape et des évêques : elle ne portait que sur la personne, elle ne pouvait lui conférer une autorité dont il n’était pas au pouvoir des hommes de disposer, parce qu’elle venait de Dieu. Sur ce point, tout le monde était d’accord. Le roi était le serviteur, le ministre de Dieu et la cérémonie du sacre, pieusement conservée par les Capétiens, attestait et confirmait à la fois son caractère quasi sacerdotal. Il en tirait un ascendant moral qui le mettait hors de pair, qui faisait de lui un personnage unique, d’une nature sans