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laquelle les opposants ou les mécontents se groupèrent à leur tour en une faction guelfe. Il ne se borna point pourtant à agir sur les princes. Par dessous eux, il s’efforça de se rallier la petite noblesse et de s’en faire à la fois un instrument politique et une force militaire. Les mœurs chevaleresques commençaient à cette époque à se répandre de France et de Lotharingie sur la rive droite du Rhin. Il mit tous ses efforts à favoriser cette diffusion, à imposer son prestige à la chevalerie et à l’attirer à sa cour par l’éclat des fêtes et des tournois. Quantité de ministeriales furent élevés par lui au rang de chevaliers et il constitua en fiefs pour ces clients militaires ce qui subsistait encore des domaines impériaux. C’est sous son règne que les montagnes de la Souabe, de la Franconie et de la Thuringe ont commencé à recevoir cette parure de « bourgs féodaux » dont les ruines subsistent encore en si grand nombre.

On peut donc dire que Frédéric sacrifia en Allemagne, à la nécessité de se constituer une forte armée féodale, les droits politiques de la royauté. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement. Le développement social des contrées allemandes, en retard sur celui des États occidentaux, ne lui permettait pas de se créer les ressources financières qui lui eussent permis de lever des bandes de mercenaires. L’état économique de l’Allemagne, en dehors de la vallée du Rhin, en était toujours à la vieille constitution domaniale et la circulation monétaire y restait extrêmement restreinte. De villes de quelque importance, on ne pouvait guère encore citer que Cologne, seul centre commercial comparable à ceux de Flandre ; les ports de la Baltique commençaient à peine à se faire connaître ; dans le sud, Augsbourg, Vienne, Nuremburg n’étaient encore que des localités de troisième ordre.

Au surplus, dans les projets de Frédéric, l’Allemagne ne jouait qu’un rôle tout à fait secondaire ; il n’y voyait qu’un instrument destiné à lui ouvrir le chemin de l’Italie et de l’Empire. Foncièrement allemand de mœurs, de sentiment et de caractère, il l’était en politique aussi peu qu’il est possible de l’être. L’idée impériale l’emplissait tout entier. Au moment où, en France et en Angleterre, la monarchie jetait la base de solides États nationaux, il allait rouvrir une lutte qui devait jeter finalement son pays dans l’anarchie du grand interrègne et le livrer pour de longs siècles au morcellement féodal.

Cette lutte à laquelle il courait, il n’en appréciait ni les difficultés ni la portée. Ce n’était plus seulement le pape qu’il allait avoir à combattre. Depuis la fin du xie siècle, la plaine lom-