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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/229

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de Legnano où l’armée impériale fut taillée en pièces et dispersée par les Milanais et leurs alliés. La catastrophe était sans remède, comme l’humiliation. Du même coup, Alexandre III et les bourgeois lombards triomphèrent de cet empereur, si arrogant tant qu’il s’était cru fort. De la brutalité, il passa subitement à la déférence et à l’humilité. Il sacrifia le nouveau pape, Calixte III, qu’il avait fait nommer à la mort de Pascal, reconnut Alexandre et, à Venise où il se réconcilia avec lui, dépouilla ses allures d’Auguste, se prosterna et lui baisa les pieds. Les députés des villes lombardes, que le pape avait promis de réconcilier avec l’empereur, assistèrent à cette cérémonie. Une trêve de six ans, transformée plus tard à Constance (juin 1183) en traité définitif, fut conclue : elle fixe pour la forme les droits de l’Empire à leurs subsides et à leurs contingents militaires, qui ne furent jamais fournis.

Frédéric ne rentra en Allemagne que pour y trouver Henri le Lion et ses partisans guelfes en pleine révolte. Il réussit à le vaincre sans que d’ailleurs sa victoire assurât plus fermement le pouvoir monarchique. Obligé de se concilier les princes, il se vit forcé de partager entre eux les dépouilles du vaincu. Son duché de Bavière fut donné à Othon de Wittelsbach ; son duché de Saxe fut partagé entre l’archevêque de Cologne qui reçut la Westphalie, et Bernard d’Anhalt. La chute de Henri le Lion fit disparaître un dangereux ennemi de l’empereur, mais elle fut un malheur pour l’Allemagne. Dominant des Alpes à la Baltique et ayant conquis et colonisé au delà de l’Elbe de vastes territoires slaves, Henri possédait une puissance qui, si elle eût duré, eût pu s’imposer à l’ensemble du pays et en souder les unes aux autres les régions si différentes entre lesquelles il se divisait. Il fut renversé par la coalition des intérêts dynastiques avec ceux de la féodalité, et le triomphe de ses ennemis n’eut d’autre résultat que d’augmenter encore le morcellement féodal qui allait croissant en Allemagne de règne en règne. Il était déjà poussé si loin, à la fin du xiie siècle, que Frédéric comprit qu’il était indispensable pour assurer l’avenir de sa dynastie de lui chercher au dehors une base territoriale. De là, le mariage en 1186 de son fils Henri avec Constance, l’héritière du Royaume de Sicile. Pour durer, la maison de Hohenstaufen était obligée de se dénationaliser et de se détourner de l’Allemagne vers l’Italie.

Ce fut là le seul résultat durable — mais à quel prix ! — de la carrière si bruyante et si stérile de Frédéric Barberousse. La troisième Croisade lui fit-elle espérer une revanche de ses déboires, et