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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/232

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lui-même. L’argent de l’étranger qui devait si souvent dans la suite déterminer en Allemagne l’issue des élections royales, intervint ouvertement pour la première fois dans celles-ci. Les livres sterlings de Richard Cœur de Lion furent largement prodiguées en faveur de son candidat, le duc Othon de Brunswick, fils d’Henri le Lion, élevé en Angleterre et n’ayant guère d’allemand que sa passion guelfe contre les Hohenstaufen. Les partisans de ceux-ci lui opposèrent le frère d’Henri VI, Philippe le Souabe, qui acheta l’alliance de Philippe Auguste en lui cédant la Flandre impériale. Il donna en outre la couronne royale au duc de Bohême pour se l’attacher. Et la guerre civile éclata des Alpes à la Mer du Nord et de l’Elbe au Rhin, tous les princes se ruant les uns sur les autres sous prétexte de défendre le roi légitime (1198).

Cette guerre venait à souhait pour le pape. S’appuyant sur la vieille prétention du Saint-Siège d’avoir à approuver l’élection du roi des Romains, il intervînt entre les concurrents. Philippe ne pouvait renoncer aux traditions de sa maison et sacrifier les droits de l’Empire. Si faible qu’il fût, il se considérait à ce point comme le successeur des Augustes, qu’il s’était fait appeler Philippe II, se rappelant qu’au iie siècle, Philippe l’Arabe avait gouverné l’Empire romain. Quant à Othon IV, il promettait tout ce qu’on voulait : abstention dans les élections épiscopales, abandon de toute suzeraineté sur Rome, renonciation au royaume de Sicile. Innocent se prononça pour lui sans que, d’ailleurs, sa sentence et l’excommunication prononcée contre Philippe et ses adhérents affaiblissent suffisamment les partisans de Philippe pour les obliger à poser les armes (1201). La lutte ne prit fin qu’après son assassinat en 1208. Débarrassé de son rival, Othon partit pour Rome et reçut l’année suivante la couronne impériale. Quelques mois plus tard, il était excommunié. A peine couronné, en effet, le Guelfe s’était fait Gibelin et s’était mis à revendiquer, exactement comme les Hohenstaufen, tous les pouvoirs et prétentions auxquels il avait renoncés quelques années auparavant.

L’arme destinée à l’abattre se trouvait dans les mains du pape. Le fils de Henri VI, le prince Frédéric, dont la mère en mourant quelques mois après son mari, avait confié la tutelle à Innocent III, en reconnaissant la Sicile comme fief du Saint-Siège, venait d’atteindre sa quatorzième année et de prendre le gouvernement de son royaume de Sicile. Quoi de plus habile que de l’envoyer en Allemagne, de l’y faire reconnaître pour roi, et d’exciter grâce à