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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/254

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lutte interminable et stérile contre les princes, ressusciter le conflit des Guelfes et des Gibelins, provoquer de nouvelles interventions de la France et de l’Angleterre et retomber sous l’arbitrage du pape. Le plus simple était d’en finir une bonne fois avec une situation sans issue et de jeter en pâture aux princes les lambeaux d’un pouvoir qui ne valait vraiment pas la peine d’être défendu. D’ailleurs qu’importait l’Allemagne à Frédéric ? Il n’en savait pas même la langue. Elle n’avait été pour lui que le chemin qu’il faut prendre pour arriver à l’Empire. La base de sa force était en Sicile. Là, grâce à l’absolutisme se trouvaient les ressources financières et militaires nécessaires à l’accomplissement de ses desseins.

Il est toujours difficile de déceler exactement les projets d’une politique qui a échoué. Celle de Frédéric semble avoir visé tout d’abord à imposer à l’Italie entière l’administration despotique de la Sicile, puis, ce but étant atteint, de chercher à son tour, comme son père et son grand-père, à restaurer l’Empire romain. Au reste, n ayant pas même pu accomplir la première partie de ce programme, il n’a guère abordé la seconde. Sa politique est exclusivement italienne ; elle est à peine impériale.

Elle devait cependant, et plus encore que celle de ses prédécesseurs, le mettre aux prises avec la papauté. Celle-ci l’a considéré comme son plus constant et son plus dangereux ennemi, et il ne manque pas d’historiens qui voient dans le conflit de Frédéric avec Grégoire IX et Innocent IV une lutte de principes et qui revendiquent pour lui l’honneur d’avoir, pour la première fois, défendu l’indépendance du pouvoir temporel vis-à-vis des prétentions de l’Église. La question n’est pourtant pas aussi simple qu’il y paraît à première vue. Frédéric personnellement était, si l’on veut, un libre penseur, mais il fut le contraire d’un anticlérical. De théorie politique, il n’en a pas d’autre que ses contemporains. Avec eux, il reconnaît, au moins en paroles, la divinité de l’institution ecclésiastique, le devoir qu’ont les princes de la défendre et de persécuter les hérétiques, et l’obligation qui s’impose à eux de professer les dogmes catholiques. Sa conduite vis-à-vis de l’Église s’inspire, non d’un principe, mais uniquement de ses intérêts personnels. Pourvu qu’elle n’entrave point sa politique, il est prêt à lui faire toutes les concessions. Mais justement, cette politique heurte en face celle du Saint-Siège. En réalité, c’est plus par considération temporelle que par considération religieuse que les papes l’ont combattu. Le différend entre lui et eux se dévoile dans ce qu’il a