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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/28

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(comites), des ducs (duces), des préfets (praefecti) rétribués, en grande majorité gallo-romains, mais ce sont, en général, des favoris du roi, et parfois de la plus basse extraction. Aucune surveillance, aucun contrôle ne s’exerce sur eux. Il suffit qu’ils fournissent annuellement au trésor quelques sommes d’argent ; pour le reste ils peuvent à l’aise pressurer le peuple, et ils ne s’en font pas faute. Il faut avoir lu Grégoire de Tours pour se représenter la brutalité et la cruauté des comtes mérovingiens. Leur arbitraire et leur démoralisation trouvaient d’ailleurs à se justifier par l’exemple de la cour.

On n’a peut-être jamais assisté à un spectacle plus désolant que celui qu’offrit le monde pendant les deux siècles qui suivirent l’invasion germanique. Au contact trop brusque de la civilisation, les barbares, pressés d’en jouir, en ont pris les vices, et les Romains, n’étant plus réfrénés par la main de l’État, ont pris la brutalité des barbares. C’est un déchaînement général des passions les plus grossières et des appétits les plus bas, avec leur accompagnement obligatoire de perfidies et de cruautés.

Mais toute décadente, toute barbarisée qu’elle soit, l’administration n’en reste pas moins romaine. On ne trouvera que dans le nord des agents royaux à noms germaniques : grafio, tunginus ou rachimburgi.

Les finances, elles aussi, restent romaines. La fortune privée du roi est nettement séparée du fisc. Le système monétaire et l’impôt sont toujours à la base de la puissance royale. Le sou d’or est maintenu partout en usage. Bien plus, la frappe de la monnaie d’or continue. L’État, il est vrai, ne sait plus ni la régler, ni en garantir le titre. Le roi franc en abandonne même la fabrication à des particuliers, sans s’inquiéter de l’altération des coins qui en est la conséquence même.

Ainsi tous les royaumes barbares qui se partagent l’Empire d’Occident présentent une série de caractères communs, qui font d’eux, non pas des États barbares, mais des royaumes romains barbarisés. Tous ont abandonné leur langue nationale et leur culte païen. Chrétiens, ils sont par le fait même devenus les fidèles sujets de l’Église toute imprégnée de la civilisation romaine. Pourtant, comme l’Empire, ces royaumes sont essentiellement laïques. Les évêques, nommés théoriquement par le clergé, sont en fait désignés par le roi ; leur influence, pour grande qu’elle soit, reste du domaine religieux : aucun évêque ne remplit de fonctions publiques avant