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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/284

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elle se répand en Allemagne ; d’Allemagne, dans les pays Scandinaves. Dans toutes les langues germaniques comme dans toutes les langues romanes, on la traduit ou on l’imite. Tout ce qu’elle produit, attire l’attention et trouve des lecteurs, c’est à ce point que nous ne connaissons plus aujourd’hui l’existence de certaines branches françaises du Cycle de Charlemagne que par des traductions norvégiennes. Les plus grands poètes de l’Allemagne du xiiie siècle, un Hartmann de Strasbourg, ou un Wolfram von Eschenbach, sont tous pleins de réminiscences et de paraphrases des poèmes français. Pour retrouver dans l’histoire antérieure l’exemple d’un semblable prestige, il faut remonter, malgré la différence foncière des époques et des sociétés, à la diffusion de la littérature et de la langue grecque dans l’Empire romain à partir du IIe siècle avant Jésus-Christ.

La comparaison est d’autant plus exacte que, pour la France comme pour la Grèce, elle s’applique à l’art en même temps qu’aux mœurs et à la littérature. Il suffit de penser ici à la conquête de l’Europe par l’architecture gothique, car sous cette épithète de gothique, due au mépris des humanistes italiens, il faut entendre comme on sait, une création essentiellement française. L’invention de la croisée d’ogives au commencement du xiie siècle, quelque part sur les confins de la Normandie et de l’île de France, a en quelques années, par l’effort de constructeurs de génie, transformé de fond en comble l’ossature et le style des monuments. Jusqu’alors les procédés de l’art de bâtir étaient en somme restés dans ce qu’ils avaient d’essentiel, ceux de l’Antiquité. Brusquement tout change. Les conditions d’équilibre, le rapport des supports et des portées, des pleins et des vides, de l’horizontal et du vertical sont transformés, et de cette transformation naît la seule grande école d’architecture que l’histoire de l’art puisse citer à côté de l’architecture grecque. Notre-Dame de Paris est commencée en 1163 ; la cathédrale de Reims, en 1212 ; la nef d’Amiens date de 1220, le façade de Chartres de 1194. L’admiration que provoquèrent de tels monuments se comprend sans peine. Elle nous est attestée d’ailleurs par la vogue dont jouirent bientôt les architectes français. L’un d’eux construit le chœur de la cathédrale de Magdebourg ; un autre élève la cathédrale de Lund en Suède. Villart de Hannecourt, dont un heureux hasard nous a conservé l’album, dessine des projets de construction pour les divers pays de l’Europe. Sans doute, les élèves étrangers des architectes français ne se bornèrent pas à répéter machi-