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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/286

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la « clergie », et l’on sait d’ailleurs que l’Université de Paris a été le modèle dont s’est plus tard inspiré Charles IV pour la fondation de l’Université de Prague (1348), prototype des universités allemandes. A cet ascendant universel qu’exerce Paris, correspond, si l’on peut ainsi dire, le cosmopolitisme des maîtres qui y enseignent. Ils viennent non seulement de France, mais d’Allemagne, comme Albert le Grand, des Pays-Bas, comme Suger de Brabant, d’Écosse comme Duns Scott, d’Italie comme Thomas d’Aquin. Bref, de même que Rome est le siège du gouvernement de l’Église, Paris est celui de son activité théologique et philosophique. Il est comme la clef de voûte de son haut enseignement.

D’où lui est venue cette extraordinaire fortune ? Pourquoi la science catholique s’est-elle fixée dans cette ville du nord qu’aucune tradition littéraire ou religieuse n’appelait à la mission qui lui a été dévolue ? On ne peut l’expliquer autrement que par le caractère singulier que donnait à Paris la résidence de la cour royale. Les traditions carolingiennes de la royauté la prédisposaient admirablement à s’intéresser aux écoles ecclésiastiques et à leur accorder sa protection. Si ce sont les grands seigneurs féodaux qui ont favorisé les fondations mystiques de l’Église, les rois ont pris sous leur garde ses fondations savantes. Rien d’étonnant donc si, de très bonne heure, les écoles de Paris se sont trouvées dans une situation privilégiée. Les progrès de la royauté, en augmentant depuis le commencement du xiiie siècle l’importance et l’attraction de la capitale, ont fait le reste. Le centre national de la France est devenu le centre de la vie scientifique européenne. Ce ne sont pas seulement les Français qui auront répandu par le monde ce dicton du xiiie siècle, dû sans doute à un jeu de mots d’étudiant : « Paris absque pare, Paris sans pair. »

L’influence de la civilisation française, au xiie et au xiiie siècles, n’a pas été partout également intense. Elle atteint son maximum dans les pays où les Français l’ont portée eux-mêmes en s’y installant : en Angleterre et dans les établissements des croisés en Orient. Ailleurs, elle ne s’est répandue que par emprunt, imitation, mode ou contagion, et par l’exemple. Mais partout elle ne s’est communiquée qu’aux classes supérieures de la société, à la noblesse parmi les laïques, aux étudiants et aux savants parmi les clercs. A cet égard on peut la comparer à celle de la Renaissance du xve siècle ; elle ne s’est étendue comme elle qu’à l’aristocratie sociale ou à celle de l’intelligence et du savoir. On comprend facile-