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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/341

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CHAPITRE II

LA GUERRE DE CENT ANS

I. — Jusqu’à la mort d’Édouard III (1377)

La France n’exerce plus, depuis la fin du xiiie siècle, cette hégémonie dont elle a joui sans conteste de Philippe Auguste à Philippe le Bel. Pour qu’elle demeurât en possession de cette maîtrise de l’Europe, il eût fallu et que sa civilisation continuât à progresser et que sa puissance politique se maintînt. Or la première s’arrête et la seconde décline. Ni l’art, ni la littérature, ni la science, quelque intérêt qu’ils y présentent encore, n’apportent plus aucune nouveauté essentielle. Quant à la force et à la prospérité de la nation, elles sont compromises l’une et l’autre par la formidable crise de la Guerre de cent ans.

La portée de ce grand conflit dépasse d’ailleurs de beaucoup les bornes de l’Europe occidentale. Les deux États qu’il met aux prises étaient trop influents pour que leur querelle n’intéressât qu’eux-mêmes. En réalité, elle s’impose à tous les princes, et par les alliances qu’elle provoque parmi eux ou par l’action qu’elle exerce sur leur conduite, elle revêt une importance européenne. Dans l’Europe déséquilibrée par la disparition de la prépondérance politique de la papauté, elle est tant bien que mal un centre d’attraction, ou tout au moins l’événement cardinal qui confère à l’agitation confuse de la période qu’il domine, quelques directions communes.

Une guerre aussi longue et aussi acharnée n’était possible qu’entre la France et l’Angleterre. Seules, elles possédaient des gouvernements disposant d’assez de ressources et des peuples doués d’une unité nationale suffisante pour supporter sans périr une semblable épreuve. Mais l’on reste confondu quand on compare la grandeur des efforts dépensés à l’inanité des résultats obtenus. Au fond, il en est de la lutte de la France et de l’Angleterre comme de celle des papes et des conciles : c’est un avortement. Après tant de sang répandu, tant de misères et tant de ruines, les deux adversaires se retrouvent à très peu de choses près au point de départ, si bien que la Guerre de cent ans n’a été qu’une calamité formidable