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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/352

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de leurs convocations correspond à une crise du trésor ; on ne les réunit que pour leur demander de payer. Et c’est là précisément ce qui donne à la bourgeoisie le rôle prépondérant qu’elle y joue. Car, ne jouissant des immunités financières ni de la noblesse, ni du clergé, c’est elle surtout qui est appelée à payer, et il va de soi qu’en retour des impôts qu’elle vote, elle entend stipuler des garanties. Autant qu’on peut en juger par les soixante-sept articles remis au dauphin par Étienne Marcel, son idéal est d’imprégner l’administration du royaume du même esprit de contrôle et de légalité qui règne dans les administrations urbaines. Les agents du roi, les agents financiers surtout, doivent cesser d’être irresponsables à l’égard des contribuables. Le gouvernement doit accepter la collaboration permanente des États généraux et les associer à son action. Mais lorsque Marcel parle des États généraux, il pense avant tout à la bourgeoisie et spécialement à la bourgeoisie parisienne. Dès cette première rencontre du roi de France avec la nation, Paris prend, en effet, sans que personne songe à s’y opposer, la tête du mouvement. Son importance de capitale qu’il doit à la couronne, son peuple l’emploie maintenant contre la couronne. La ville royale est tellement « sans pair », elle l’emporte tellement sur toutes les autres villes du royaume par sa population, par ses richesses, par son activité et aussi par sa turbulence, elle est déjà si bien le centre du pays, le point de mire de l’attention universelle, que, dès le milieu du xive siècle, ses agitations ébranlent toute la France, que la voix de ses tribuns porte sur toute la nation et que ses émeutes sont des « journées historiques ». Le dauphin le comprit si bien qu’inaugurant une tactique qui devait être si souvent reprise après lui jusqu’au xixe siècle, il résolut d’éloigner les États généraux de cet ardent foyer et les réunit à Compiègne (1358). L’opposition parisienne n’en devint que plus acharnée. La guerre civile semblait sur le point d’éclater. Marcel traitait avec le roi de Navarre et le roi d’Angleterre, exhortait Gand et les villes flamandes à unir leurs efforts aux siens contre « les mauvaises et folles entreprises, par telle manière que nous tous puissions vivre en franche liberté », quand l’explosion de la Jacquerie amena le dénouement de la crise.

Le poids des nouveaux impôts, accompagné des excès des bandes de mercenaires licenciées après Poitiers et qui se répandaient pour vivre sur le pays, avait poussé à bout les paysans de la Champagne, de la Picardie et du Beauvaisis. Les défaites de la noblesse