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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/356

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gouvernements censitaires, la masse sans droits sur laquelle repose l’édifice social et dont on ne s’occupe que quand ses mouvements secouent la société qui s’appuie sur elle.

Comme partout, la situation des paysans anglais s’était considérablement améliorée au xiiie siècle. Mais, durant la première moitié du xive le progrès s’était arrêté par l’effet de causes générales que l’on a indiquées plus haut. Le renchérissement de la vie et la hausse des salaires, provoqués par les ravages de la peste noire, avaient poussé la noblesse à demander au Parlement en 1350 une loi ramenant le salaire des ouvriers agricoles au taux de 1347 (Statut of labourers). Enhardie par ce succès, elle s’ingéniait depuis lors à rétablir d’anciens droits domaniaux, à exiger des corvées tombées en désuétude et à ramener les paysans au servage de la glèbe. Que l’on ajoute à cela le poids croissant des impôts et on comprendra quels ferments de haine devaient se développer dans les âmes. L’agitation religieuse déchaînée par Wyclif provoqua la catastrophe finale exactement comme au xvie siècle la propagande luthérienne devait faire éclater en Allemagne la guerre des paysans. Sans doute, ni Wyclif ni Luther n’ont poussé les masses à la révolte. Mais l’un et l’autre, en ébranlant chez elle le respect de l’autorité religieuse les amenèrent à s’insurger contre l’ordre social dont elles souffraient et que l’Église traditionnelle leur avait appris à respecter. C’est par là que les révoltés anglais de 1384 diffèrent des Jacques de France en 1357. Ceux-ci n’obéissent qu’à leur misère ; ceux-là sont d’autant plus redoutables qu’à l’aiguillon de la misère s’ajoute, pour les pousser en avant, le sentiment qu’ils sont les victimes d’une église et d’une société également corrompues par l’amour des richesses. Ils n’ont pas seulement à leur tête des journaliers comme Wat Tylor, mais aussi des pauvres prêtres comme John Ball dont les prédications lollardes ont alors enflammé tant de pauvres gens d’une espérance passionnée en un communisme naïf.

Mais les paysans ne pouvaient tenir devant cette gendarmerie cuirassée qu’était la noblesse. Comme la Jacquerie, leur soulèvement finit par un massacre et, pas plus qu’elle, il n’eût de lendemain.

Cependant la guerre contre la France continuait à n’amener que des échecs. L’Angleterre laissait écraser les Gantois à la bataille de Roosebeke et, l’année suivante, l’expédition qu’elle envoyait contre Ypres sous la direction de l’évêque de Norwich (1383)