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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/37

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des terres plus fertiles, l’opposition morale est éclatante. Il est certain pourtant que la constitution sociale des Arabes les appropriait merveilleusement à leur rôle. Nomades et pauvres, ils étaient tout préparés à obéir à l’ordre de Dieu. Il leur suffisait de seller leurs chevaux et de se lancer. Ils ne sont pas, comme les Germains, des émigrants traînant derrière eux femmes, enfants, esclaves et bétail ; ils sont des cavaliers habitués depuis l’enfance aux razzias de troupeaux et auxquels Allah fait un devoir de se lancer en son nom à la razzia de l’Univers.

Il faut reconnaître d’ailleurs que la faiblesse de leurs adversaires a prodigieusement facilité leur tâche. Ni l’Empire byzantin, ni l’Empire perse, surpris l’un et l’autre par l’imprévu de l’attaque, n’étaient en mesure de lui résister. Après Justin II, le gouvernement de Constantinople n’avait cessé de s’affaiblir, et nulle part, de la Syrie à l’Espagne, les envahisseurs ne trouvèrent d’armées à combattre. Leur fougue ne rencontra devant elle que le désarroi. Des conquêtes de Justinien il ne subsistait plus, dès 698, que l’Italie. Le christianisme qui avait régné sur toutes les côtes de la Méditerranée ne conservait plus que celles du nord. Sur les trois quarts de son étendue, les rivages de cette mer, qui avait été jusqu’alors le centre commun de la civilisation européenne, appartenaient à l’Islam.

Et ils ne lui appartenaient pas seulement par l’occupation, mais aussi par l’absorption religieuse et politique. Les Arabes n’ont pas, comme les Germains, respecté l’état de choses qu’ils ont trouvé établi chez les vaincus. Il ne pouvait en être autrement. Tandis, en effet, que les Germains, en abandonnant leur religion pour le christianisme, fraternisèrent tout de suite avec les Romains, les Musulmans apparaissaient en propagateurs d’une foi nouvelle, exclusive, intolérante, à qui tout devait céder. La religion, partout où ils dominèrent, fut la base de la société politique, ou, pour mieux dire, l’organisation religieuse et l’organisation publique sont pour eux identiques ; l’Église et l’État forment une seule et même unité. Les infidèles ne peuvent continuer à pratiquer leur culte qu’en qualité de simples sujets, privés de toute espèce de droits. Tout fut changé de fond en comble conformément aux principes du koran. De l’administration tout entière, justice, finances, armée, il ne resta rien. Des kâdis et émirs remplacèrent les exarques de la contrée. Le droit musulman se substitua partout au droit romain et la langue arabe expulsa à son tour la langue grecque et la langue