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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/375

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mêlée à la nation pour que celle-ci la refusât à un étranger. Il suffisait de s’entendre avec la haute noblesse, quelqu’odieux que lui fussent les Allemands, et de lui faire des concessions, pour être accepté. Ce qui n’eût pas été possible à l’Occident de l’Europe, l’était à l’Orient. Aucune des conditions qui firent surgir la Guerre de cent ans ne se rencontrait dans le bassin du Danube. La chance extraordinaire des Habsbourg est donc beaucoup moins qu’on ne pourrait le croire, l’effet du hasard. La politique matrimoniale elle-même ne suffit pas à l’expliquer. La condition indispensable et primordiale a été l’absence d’esprit politique chez les peuples qui en ont été les instruments ou les victimes.

Cette absence d’esprit politique, l’Allemagne, si on l’envisage dans son ensemble, en apparaît tout aussi complètement dépourvue. Le rapide aperçu qu’on vient de lire du règne de ses rois en est la preuve irréfutable. Que l’on compare son histoire à celle de la France et de l’Angleterre durant la même période. Là, non seulement les trois classes privilégiées, clergé, noblesse et bourgeoisie sont associées soit par l’impôt, soit par le service militaire, à l’action du roi, mais elles interviennent directement dans le gouvernement, et les crises que provoquent leurs revendications ou leurs conflits ne sont que les manifestations tumultueuses d’une vie publique incontestable. L’Allemagne, au contraire, ne possède ni impôts, ni rien qui ressemble à une organisation parlementaire. La Diète (Reichstag) n’est qu’une assemblée de prélats, de princes, de nobles et de villes dont la compétence se borne à paralyser l’action du souverain, mais qui ne se substitue pas à lui dans le gouvernement et ne fait qu’affaiblir celui-ci en le compliquant. La couronne ne possède pas plus d’administration que de finances. La majesté archaïque de son langage et de ses emblèmes contraste d’une manière presque comique avec sa force réelle. Sigismond qui, par pompe, a ajouté une seconde tête à l’aigle de l’Empire, est obligé de mettre sa couronne en gage et se débat au milieu de ses créanciers qui le poursuivent de ville en ville. Si l’Allemagne avait été un État, la Guerre de cent ans lui aurait fourni l’occasion excellente de s’affirmer. La France et l’Angleterre, neutralisées l’une par l’autre, elle pouvait s’imposer à l’Europe. Mais elle est incapable de rien faire. En Italie, elle perd ses dernières positions en fait. Les alliances d’Adolphe de Nassau et de Louis de Bavière avec Édouard III ne tournent qu’à la confusion de ces deux princes besogneux qui, s’étant fait payer leurs services à l’avance, n’en rendent aucun.