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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/388

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qu’un épisode de la puissante expansion allemande qui, à la même époque, se répandit en Pologne comme en Bohême. Ces émigrants y furent d’autant mieux accueillis que le pays venait d’être ravagé par l’invasion mongole qui, débordant de Russie, s’était étendue jusqu’à la Silésie pour s’y arrêter longuement et refluer à la nouvelle de la mort du grand khan Ogotaï (1241). Les Allemands ne s’établirent en grand nombre que dans la Silésie qui commença depuis lors à se germaniser. Ceux qui pénétrèrent dans l’intérieur, y introduisirent la vie urbaine et y constituèrent une bourgeoisie qui, protégée par des privilèges et pourvue du droit de Magdebourg, devait y conserver durant des siècles sa nationalité. Elle s’y juxtaposa aux Juifs que les persécutions de l’époque des Croisades avaient balayés, aux xie et xiie siècles, de l’Allemagne et de la Hongrie vers la Pologne.

L’introduction de la dynastie bohémienne de Pologne sous Wenceslas II et Wenceslas III (1300-1305) eut pour résultat d’y rétablir le titre royal. A la mort de Wenceslas III, les grands appelèrent au trône le duc Wladislas Ier. Son fils Casimir (le Grand) fut à peu près pour le pays ce que fut pour la Bohême son contemporain Charles IV (1333-1370) de la politique duquel il s’inspira incontestablement. Il voulut faire de Cracovie ce que Charles faisait de Prague et fonda à son exemple, une université (1364). Il s’efforça d’organiser une administration royale par l’institution d’une cour centrale de justice, d’un trésorier, d’un chancelier, et de modeler son gouvernement conformément au type occidental adopté par la Bohême. Mais une royauté forte ne peut s’imposer qu’en s’appuyant sur les services qu’elle rend au peuple et en l’intéressant ainsi à son maintien. Les rois de France avaient contre-balancé au xiie siècle le pouvoir de leurs grands vassaux en s’alliant à la bourgeoisie, et les rares bourgeoisies allemandes de Pologne ne pouvaient servir d’auxiliaires à la couronne. Dans ce pays tout agricole, la noblesse par sa puissance et son ascendant était, en plein xive siècle, aussi incompatible avec le gouvernement monarchique que l’avait été trois cents ans plus tôt celle de l’Empire franc. Ce n’est pas qu’elle ne fût très différente de celle-ci. Ce qui domine dans la noblesse d’Occident, c’est la fonction sociale, tandis que dans celle de Pologne, c’est le caractère juridique. Par suite de l’évolution historique beaucoup plus simple, la noblesse s’y rattache directement aux hommes libres de l’époque barbare, elle en conserve la fierté et elle revendique pour elle seule le droit de former la nation. Pour elle, il n’y a que des paysans serfs qu’elle exploite et qu’elle mé-