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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/452

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autrement s’inquiéter de leur capacité ou de leurs mœurs, le plus grand nombre possible de ses parents dans le Sacré Collège. Déjà les cardinaux d’Avignon avaient affligé bien de pieuses âmes. Que dire de ceux du xve siècle ! Au milieu même de ce monde de la Renaissance accoutumé à l’extrême licence de la vie des cours, ils ont fait scandale. Il faut remonter jusqu’au xe siècle, jusqu’à l’époque de Théodore, de Marosia et de Jean XII, pour retrouver un désordre moral comparable à celui dont Rome offre le spectacle sous le pontificat d’Alexandre VI (1492-1503) et même sous ceux de Jules II et de Léon X. Et encore la brutalité féodale lui fournissait-elle au xe siècle une excuse qu’on ne peut alléguer en sa faveur à la fin du xve siècle. Que l’on pense à l’impression qu’un croyant devait emporter de la capitale du monde chrétien à une époque où on y comptait (1490) 6.800 courtisanes, où les papes et les cardinaux affichaient leurs maîtresses, y reconnaissaient leurs bâtards et les enrichissaient aux frais de l’Église. C’est vraiment trop qu’un Borgia ait pu s’asseoir dans la chaire de Saint-Pierre. On souffre de la discordance excessive entre ce qu’est la papauté et ce qu’elle devrait être, et l’on voudrait trouver plus de sincérité religieuse dans les protecteurs des Bramante, de Rafaël et de Michel-Ange. Si admirable que soit la Renaissance à Rome, elle y a quelque chose de choquant ; la parure qu’elle a imposée à la métropole du monde catholique la rend trop étrangère à la Rome des grands papes du Moyen Age. Les successeurs des Innocent III et des Boniface VIII sont si imprégnés de l’esprit nouveau qu’ils ne respectent plus la tradition à laquelle ils doivent pourtant ce qui leur reste d’ascendant sur le monde. Il semble presque que l’Église ne soit plus pour eux qu’un moyen d’affirmer leur grandeur personnelle et que ce soit beaucoup plus leur gloire que celle du Christ que tant de monuments et d’œuvres d’art soient destinés à magnifier.

L’Église ne répond guère mieux que la papauté à sa mission religieuse. Mécontente ou découragée de l’échec des conciles, elle se laisse aller à l’apathie et s’accommode des abus et du relâchement que leur persistance semble justifier. Le haut clergé, à peu près entièrement recruté parmi les protégés soit de la Curie, soit des cours princières, est tout mondain. Quantité d’évêques ne reçoivent la prêtrise, s’ils la reçoivent, qu’au moment d’occuper leur siège, et ce n’est visiblement là qu’une formalité dont les mœurs de la plupart d’entre eux attestent qu’ils ne s’embarrassent guère. Les uns, gagnés aux goûts du jour, se piquent d’humanisme, et se font