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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/455

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xviiie siècle la noblesse française devait courtiser les « philosophes ». Le premier ne s’attendait pas plus à une révolution religieuse que le second à une révolution politique. Rien ne pouvait faire prévoir, en effet, l’explosion du luthéranisme. Sans doute, depuis la fin lamentable du Concile de Bâle, l’Allemagne était travaillée par un sourd mécontentement contre la papauté. On lui reprochait de disposer souverainement des plus hautes dignités ecclésiastiques, sans songer que c’était là une conséquence directe non de son mauvais vouloir pour la nation, mais de la constitution anarchique de l’Empire qui excluait toute possibilité d’y soumettre l’Église comme en France, en Angleterre ou en Espagne, au pouvoir de l’État. Les humanistes excitaient de leur côté cette mauvaise humeur. Ils enrageaient d’entendre les Italiens traiter de barbares les peuples du nord et par amour-propre se faisaient gloire, en latin classique, de descendre de ces Germains qui avaient jadis tenu tête victorieusement à l’ambition de Rome. Sous leur plume, sous celle de Ulrich de Hutten surtout, se rencontre pour la première fois, de façon naïve, cette opposition du germanisme et du romanisme dont on serait tenté de sourire si les passions politiques du xixe siècle ne l’avaient exploitée avec tant d’aveugle fureur au détriment de la civilisation. Leurs déclamations ne dépassaient pas un petit clan de lettrés, mais elles n’en contribuaient pas moins à entretenir à leur manière une tournure d’esprit anti-romaine. Les empereurs du Moyen Age n’avaient-ils pas d’ailleurs rencontré dans les papes leurs constants adversaires ? Sous sa forme païenne comme sous sa forme catholique, Rome apparaissait ainsi comme l’ennemie constante du peuple allemand.

À ces griefs d’amour-propre, la bourgeoisie en ajoutait de plus concrets. Comme partout, elle souffrait avec impatience les franchises du clergé, et se montrait assez brutalement anti-cléricale lorsque quelque incident lui en fournissait l’occasion. Mais nulle part ne se manifestait le besoin d’une réforme religieuse. Les âmes étaient habituées à la tradition et elles l’acceptaient. Il serait faux de croire que l’Allemagne était dévorée d’une soif spirituelle que l’Église ne parvenait plus à étancher, qu’elle se sentait à l’étroit dans le catholicisme et cherchait à s’unir plus intimement à Dieu. Il est trop facile de construire sur le terrain de la religiosité une opposition entre l’âme germanique et l’âme latine. La réalité ne montre rien de tel. Si le protestantisme est né en Allemagne, si la première forme qu’il a prise et les premiers progrès qu’il a faits ne