Aller au contenu

Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsque l’agitation religieuse qui troublait les villes, commença à se répandre parmi eux. La religion était la plus vieille et la plus sacrée des habitudes, la forme nécessaire et le fondement même de l’existence, et ils la voyaient impunément attaquée, raillée, bravée en face. La crainte et le respect du clergé disparaissaient. Comment auraient-ils pu conserver le respect et la crainte des seigneurs ? Les abus que l’on reprochait à l’Église leur apparaissaient bien moins clairement que les injustices dont ils avaient à souffrir de la part des nobles. Et à mesure que l’agitation se répandait parmi eux, elle les rapprochait les uns des autres dans la communauté d’une même colère. Leur faiblesse était venue de leur isolement. Émus par les mêmes passions, ils se sentaient forts et, en 1528, les premières émeutes révélèrent soudain la grandeur d’un péril qu’on méprisait trop pour avoir pu le prévoir.

Le mouvement se répandit rapidement dans toute l’Allemagne du sud, du Luxembourg aux montagnes de Bohême. Ça et là même, le peuple des villes se joignit aux révoltés. Leurs revendications inscrites dans les « douze articles des paysans » sont beaucoup plus sociales que religieuses. Ils réclament le retour à l’Évangile, mais surtout à la liberté, et à la liberté telle qu’ils la comprennent c’est-à-dire la liberté de pouvoir jouir librement des bois et des prairies, puis d’être débarrassés des corvées illégales et de la tyrannie arbitraire des hobereaux. Leurs bandes se répandent irrésistibles et la terreur qu’elles provoquent sur leur passage paralyse toute résistance. A la brutalité dont ils ont si longtemps souffert, elles répondent par la brutalité. Des châteaux, des monastères sont livrés aux flammes. La crainte est si générale, l’explosion si soudaine que des comtes, des princes, des électeurs s’humilient à traiter avec les masses soulevées et à adhérer aux « douze articles ». Mais déjà ceux-ci ne suffisent plus aux espoirs qu’a excités le succès et aux passions qu’il attise. Les vieilles rêveries mystiques et communistes qui, depuis le Moyen Age, restent diffuses dans le peuple, s’emparent de nouveau des esprits. Thomas Münzer en Thuringe fanatise les paysans par la promesse d’un monde de justice et d’amour conforme à la volonté divine et dont la réalisation exige le massacre des méchants. L’effet de ces prédications sur des âmes simples et violentes fut de transformer la révolte agraire en une espèce de terreur mystique. Ses excès hâtèrent l’organisation d’une résistance que la soudaineté de ses premiers succès avait d’abord retardée, mais qui était inévitable. La noblesse unit ses forces contre