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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/468

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était encore plus grand chez eux que le manque d’idéalisme religieux. Allemands et luthériens, ils n’hésitèrent pas à acheter le secours du roi catholique de France, Henri II, en lui livrant une partie de ce que, partout ailleurs que dans l’Empire, on eût appelé la patrie ou du moins l’État. Par le Traité de Chambord (1552), ils lui reconnurent le droit de s’annexer les trois évêchés de l’ouest, Metz, Toul et Verdun. Feignant de craindre que Charles leur imposât la « servitude espagnole », ils saluèrent Henri du nom de protecteur de la liberté allemande. Ils ne voyaient en lui bien entendu que le protecteur de leur particularisme politique que renforçait si à propos le particularisme religieux.

Une fois de plus, le luthéranisme fut donc sauvé par la France. Charles, obligé de courir à la frontière lorraine, lui abandonnait le terrain et il n’eut plus, jusqu’à son abdication, l’occasion de revenir à la charge. Aussi catholique que lui, son frère et successeur Ferdinand, toujours menacé par les Turcs en Hongrie, s’empressa de pacifier l’Allemagne. La paix de religion conclue par la Diète d’Augsbourg le 25 septembre 1555 trancha la question. Elle reconnut aux princes le jus reformandi, c’est-à-dire le droit d’embrasser la Réforme, soit qu’ils l’eussent fait déjà, soit qu’ils voulussent le faire dans l’avenir. Les sujets étaient tenus de professer la religion des princes, sauf la faculté d’émigrer après avoir vendu leurs biens. Une exception était établie en faveur des principautés ecclésiastiques qui devaient en tous cas rester catholiques. Le changement de confession par le prince ne devait y avoir pour conséquence que son abdication.

Ainsi faite, la Paix d’Augsbourg apparaît beaucoup moins comme une paix de religion que comme un simple compromis politique. Il est impossible de se désintéresser plus complètement de la liberté de conscience. La religion du peuple y est abandonnée à l’arbitraire du prince, comme une simple question d’administration interne. Le droit de professer librement la croyance n’est reconnu qu’aux têtes couronnées : la masse n’a que celui d’obéir. Sans doute, il faut voir en cela une conséquence du principe de la religion d’État qui, appliqué jusqu’alors au profit de l’Église seule, est étendu maintenant au luthéranisme. L’intolérance est égale de part et d’autre et la nouvelle religion ne souffre pas plus que l’ancienne de dissidents parmi elle. La Paix d’Augsbourg n’introduit d’ailleurs rien de nouveau. L’état de choses qu’elle ratifie est celui qui existait déjà en fait, on l’a vu, dans toutes les principautés réformées.