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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/470

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se serait fait sur lui comme sur tant d’autres de ses précurseurs. Mais il y a plus, et l’on peut constater facilement que les idées fondamentales elles-mêmes du luthéranisme n’appartiennent point en propre à Luther. Dans les Pays-Bas, Wessel Gansfort, mort ignoré en 1489 et dont les œuvres ne furent publiées qu’en 1522, en avait déjà formulé la plupart et on les retrouve en France parmi les membres du petit cercle qui se groupait vers 1515 autour de Lefèvre d’Étaples. Elles attendaient pour ainsi dire au seuil de l’Église, le moment de l’envahir. Luther les a poussées en avant puis en a pris la direction. Il a été un grand « meneur » moral, mais on sait que les meneurs, s’ils sont indispensables aux révolutions, n’en sont pas les auteurs.

Il est aussi dans la nature des révolutions d’être contagieuses ; celle-ci ne devait pas faire exception à la règle. Cependant, la forme que le luthéranisme prit de si bonne heure en Allemagne par son alliance intime avec les princes, devait l’empêcher, après avoir déchaîné la Réforme, d’en diriger la destinée et d’en conserver la direction. Wittenberg, qui avait semblé un moment devenir le centre commun des fidèles de l’Évangile, déçut bientôt leurs espoirs. Étroitement soumises au pouvoir séculier, les Landeskirchen manquaient de la liberté d’allures et de l’indépendance qu’eût exige une propagande fructueuse au dehors. Elles s’étaient trop entièrement conformées au milieu politique allemand pour pouvoir s’adapter à d’autres milieux. Leur nationalisme, si l’on peut ainsi dire, leur interdisait à l’avance d’exercer une influence universelle. La seule conquête du luthéranisme est celle des pays Scandinaves parce que les rois s’y prononcèrent pour lui. En Suède, Gustave Wasa, d’accord avec la noblesse qui convoitait les biens ecclésiastiques, l’imposa au peuple en 1527. Les soulèvements catholiques, assez nombreux jusqu’en 1543, furent rigoureusement réprimés et n’eurent d’autres conséquences que d’affermir le pouvoir royal et de donner au pays une solide constitution monarchique qui devait lui permettre bientôt d’intervenir dans les affaires de Europe. En Danemark, Christian II (1503-1523) avait favorisé la Réforme afin d’augmenter son autorité en l’imposant à l’Église. La noblesse et la bourgeoisie de Copenhague s’y rallièrent l’une par intérêt, l’autre par hostilité au clergé. Sous Christian III, en 1536, elle fut proclamée la religion de l’État. La Norvège et l’Islande, dépendance du Danemark, avaient jusqu’alors conservé leur autonomie. Le roi profita, pour la leur enlever, de leur résistance à l’Église danoise.