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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/50

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eux des privilèges d’exemption qui les plaçaient directement sous l’autorité du Saint-Siège. Depuis Saint Benoît, les moines faisaient partie de l’Église. On peut dire que depuis Grégoire le Grand ils furent associés à son action.

C’est à des moines, en effet, dirigés et formés par lui, qu’il confia la grande œuvre de son pontificat, l’évangélisation des Anglo-Saxons[1]. Elle eût d’ailleurs été impossible s’il n’avait disposé des fonds nécessaires à sa réalisation, et c’est ainsi que les deux grandes réformes de son règne, la reconstitution du patrimoine de Pierre et l’alliance avec le monachisme, ont harmonieusement contribué à une entreprise qui répond elle-même si complètement à l’idéal religieux et aux aptitudes pratiques de son initiateur.

La conversion de l’Angleterre est un chef-d’œuvre de tact, de raison et de méthode. Longuement préparés par le pape à leur tâche, Saint Augustin (de Canterbury) et ses compagnons procédèrent suivant des instructions mûrement méditées et toutes pénétrées de charité, d’indulgence, de tolérance et de bon sens. Rien n’est plus différent de l’allure primesautière et enthousiaste des missionnaires celtiques, que la conduite patiente et prudente des missionnaires de Grégoire. Ils n’arrivent dans le pays qu’après en avoir étudié la langue, les mœurs et la religion. Ils se gardent de heurter les préjugés, de rechercher des succès trop rapides, d’ambitionner même le martyre. Ils gagnent la confiance avant de gagner les âmes, aussi les gagnent-ils complètement. Au bout de soixante ans, les Anglo-Saxons non seulement étaient chrétiens, mais ils l’étaient au point de fournir eux-mêmes à l’Église des missionnaires dignes de ceux qui les avaient convertis. Cent-vingt ans après le débarquement de Saint Augustin sur la grève de Hastings (596), Saint Boniface entreprenait l’évangélisation de la Germanie païenne d’au delà du Rhin (716).

La conversion de l’Angleterre marque une étape décisive dans l’histoire de la papauté. Fondation directe du pape, l’Église anglo-saxonne se trouve placée, dès le début, sous l’obédience immédiate et la direction de Rome. Elle n’a rien d’une Église nationale ; elle est apostolique dans toute la force du terme. Et l’Église d’outre-Rhin, qu’elle va organiser, recevra d’elle le même caractère. On comprend combien le prestige et l’influence de la papauté en

  1. Débarquement de Saint Augustin, 596, christianisation achevée, 655.