Aller au contenu

Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
337 b
20
LA RÉPUBLIQUE

qu’est le nombre douze, ben prenant la précaution d’ajouter : « Prends garde, l’ami, à ne pas dire que c’est deux fois six, ni trois fois quatre, ni six fois deux, ni quatre fois trois, parce que je ne me contenterais pas de telles niaiseries », tu savais fort bien, n’est-ce pas, que personne ne répondrait à une question ainsi posée. Mais s’il te disait : « Que prétends-tu, Thrasymaque ? que je ne fasse aucune des réponses que tu viens de dire, même si, ô merveilleux homme, la vraie réponse se trouve être une de celles-là, et que je dise autre chose que la vérité ? est-ce là ou non ce que tu prétends ? », cque répondrais-tu à cela ?

Vraiment, s’écria-t-il, voilà qui a bien du rapport avec ce que j’ai dit !

Pourquoi non ? dis-je ; mais en admettant même que les deux cas diffèrent, si celui qu’on interroge les juge pareils, penses-tu qu’il se gênera de répondre ce qui lui paraît juste à lui, que nous le lui défendions ou non ?

Vas-tu donc agir ainsi, toi aussi ? répondit-il ; vas-tu faire une des réponses que je t’ai interdites ?

Je ne serais pas surpris, dis-je, si après réflexion, je prenais ce parti.

dMais quoi ! reprit-il, si je vous montre qu’outre toutes ces réponses il y en a une autre à faire sur la justice, et meilleure que celles-là, à quoi te condamnes-tu ?

À quoi ? dis-je, sinon à la peine qui convient à un ignorant, c’est-à-dire d’apprendre de celui qui sait : c’est celle à laquelle moi aussi je me condamne.

Tu es bien bon, dit-il ; mais outre la peine d’apprendre, tu paieras aussi de l’argent[1].

Soit ! quand j’en aurai, dis-je.

Mais tu en as, dit Glaucon ; s’il ne tient qu’à l’argent, parle, Thrasymaque ; nous nous cotiserons tous pour Socrate.

eC’est cela ! n’est-ce pas ? s’écria-t-il, pour que Socrate en

    cet homme devenait muet. Le loup ici, c’est Thrasymaque, comparé tout à l’heure à un fauve.

  1. Il y a ici une allusion plaisante aux mœurs judiciaires d’Athènes. Dans un procès où la fixation de la peine est à la discrétion du juge, celui-ci demande au défendeur, quand il est trouvé coupable : « Que te condamnes-tu à souffrir (prison, exil, mort, perte des droits civils) ou à payer (amende) ? » Thrasymaque n’adresse d’abord à