Aller au contenu

Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XX
INTRODUCTION

qui, une fois parvenue à concevoir et traiter d’une façon plus pleine et plus brillante ce thème qui la tourmente, laisse d’abord subsister côte à côte l’ébauche et la façon plus parfaite, puis, reprise bientôt par ce thème vital, le poursuivant, l’agrandissant jusqu’aux proportions qu’il exige, revient à la première ébauche et l’utilise comme prélude du grand œuvre. C’est bien ce qu’on prétend et ce qu’on est forcé de prétendre[1], mais on a tort, en ce cas, de vouloir prouver l’existence indépendante d’un dialogue Thrasymaque par l’impression d’achevé que donne le Livre I de la République, et l’antériorité de ce Thrasymaque à l’égard de Gorgias par sa moins grande perfection, car les raisons par lesquelles on prouve cette imperfection militent contre l’indépendance. L’infériorité ou supériorité ne peut exister qu’entre unités commensurables, et la commensurabilité n’existe naturellement entre Thrasymaque et Gorgias que si l’existence indépendante de ce Thrasymaque est déjà prouvée.

L’est-elle ou peut-elle l’être ? La comparaison des doctrines étant non seulement sujette à subjectivité, mais forclose par raison de méthode, les seuls arguments possibles seraient des arguments de tradition ou des arguments stylistiques. L’indépendance du Livre I n’a pour elle aucun témoignage antique. Reste le style. Depuis les Untersuchungen de Ritter, la jeunesse stylistique du Livre I de la République relativement aux autres Livres est un fait établi : Lutoslawski a ramassé dans une page pleine et claire les particularités de dernier style qui sont absentes de ce premier Livre et communes à tous les Livres suivants[2]. Mais cette jeunesse relative prouve-t-elle nécessairement l’existence indépendante ? Même écrit un certain temps avant les autres Livres et séparé d’eux par d’autres travaux, ce dialogue entre Socrate et Thrasymaque n’a-t-il pu être conçu du premier coup comme prélude au

  1. H. v. Arnim (Iugenddialoge), mais Pohlenz (Aus Platos Werdezeit, p. 209, n. 1), à la suite duquel Arnim marche souvent, est d’avis que le livre I n’a jamais été indépendant.
  2. C. Ritter, Untersuchungen über Plato, 1888, p. 35-47. Le livre I contient pourtant un γε μήν, une question par πῶς ἄν ; un ἄριστα εἴρηκας, un datif ionien, où Ritter voit les traces probables d’un remaniement postérieur. Lutoslawski, The Origin and Growth of Plato’s Logic, 1897, p. 155, p. 319-322 ; É. des Places, Études sur quelques particules de liaison chez Platon, Paris, 1929, p. 186.