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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/368

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LA RÉPUBLIQUE

Rien n’est plus vrai, dit-il.


VIII  Si donc nous voulons maintenir le principe que nous avons posé d’abord, à savoir que nos gardiens, déchargés de tous les autres métiers, doivent être les ouvriers de la liberté de l’État, cs’y dévouer rigoureusement et négliger tout ce qui ne s’y rapporte pas, il faut qu’ils ne fassent et n’imitent aucune autre chose ; ou, s’ils imitent quelque chose, il faut que ce soient les qualités qu’il leur convient d’acquérir dès l’enfance, le courage, la tempérance, la sainteté, la générosité de l’homme libre et toutes les vertus du même genre ; mais ils ne doivent ni pratiquer ni s’entendre à imiter la bassesse, ni aucun autre vice, de peur qu’ils ne prennent dans cette imitation quelque chose de la réalité[1]. N’as-tu pas remarqué que l’imitation, dcommencée dès l’enfance et prolongée dans la vie, tourne à l’habitude et devient une seconde nature, qui change le corps, la voix et l’esprit ?

Certainement, répondit-il.

Nous ne souffrirons pas, repris-je, que ceux dont nous prétendons prendre soin et à qui nous faisons un devoir de la vertu contrefassent, eux qui sont des hommes, une femme jeune ou vieille, injuriant son mari ou rivalisant avec les dieux et se glorifiant de son bonheur, eou tombée dans le malheur et se laissant aller aux plaintes et aux lamentations ; encore moins leur permettrons-nous de l’imiter malade, amoureuse ou en mal d’enfant.

Bien certainement, dit-il.

Ils n’imiteront pas non plus les esclaves, mâles ou femelles, dans leurs actions serviles.

Non plus.

Ni sans doute les hommes méchants et lâches qui agissent tout au rebours de ce que nous demandions tout à l’heure, qui s’injurient et se bafouent les uns les autres et tiennent

    constate que les auteurs comiques n’ont pas fait de tragédies et réciproquement que les auteurs tragiques n’ont pas écrit de comédies.

  1. C’est ce que Solon (Plut., Sol. 29, 6) disait à Thespis, après une représentation. Il lui demanda s’il n’avait pas honte de faire de tels mensonges devant tant de monde. Thespis lui ayant répondu qu’il n’y avait à cela rien d’extraordinaire, puisque c’était un simple amusement, Solon, frappant le sol de son bâton, s’écria : « Ces amusements-là, nous les retrouverons bientôt dans les marchés. »