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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/44

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INTRODUCTION

Mais notre définition ne vaudra que si elle se vérifie dans l’individu : d’où la cité, en effet, aurait-elle ses caractères, sinon des éléments qui la composent ? L’individu aurait donc en lui des principes d’action différents et spécialisés ? Oui, nous le prouverons en appliquant le principe suivant, qui est évident : une même chose ne peut ni produire ni subir des effets opposés dans le même temps et le même rapport (436 b). Nous pouvons donc assurer que le mouvement qui nous porte vers une jouissance et l’interdiction intérieure qui tend à réprimer ce mouvement ne viennent pas du même pouvoir : l’un, aveugle et irréfléchi, est le désir ; l’autre, calme et calculateur, est la raison. Or, celle-ci trouve souvent un allié dans un mouvement de réaction et de révolte, qui sourd obscurément du fond de l’être, comme le désir, mais résiste parfois au désir lui-même : c’est la colère. Sa violence est toute spontanée, irraisonnée, mais elle se déchaîne naturellement contre ce qui paraît injuste. Elle n’est pas la raison, ni sœur de la raison, sœur du désir plutôt ; mais elle est susceptible d’écouter la raison et de se mettre à son service. Elle donne à la sagesse le nerf et la force. Ainsi le guerrier appuie de son courage le gouvernant contre l’aveugle et basse passion du mercenaire. Eh bien ! que la raison en nous commande et que la colère la seconde, gouvernant et comprimant de concert le turbulent désir, alors se réalisera la subordination mutuelle de nos puissances intérieures et l’application de chacune à son œuvre propre : notre vie, entretenue par le désir, contenue au besoin par les réactions de la colère, toujours guidée et unifiée par la raison, sera une vie juste et heureuse. La justice est donc bien en nous, comme dans la cité, l’ordre qui maintient chacune des forces intérieures à sa place et dans sa fonction (443 b). Est-il besoin de dire qu’elle n’est possible en la cité que si elle existe en nous, que la justice des actes n’est rien sans cette justice du cœur, et que le grand, l’essentiel bienfait de l’éducation est d’établir cet équilibre et cette harmonie de nos puissances ? Que l’une d’elles se révolte, ce sera en nous la sédition intérieure, le trouble, le détraquement de tout notre être, la maladie et le malheur. Cette sédition intérieure, qui est l’injustice, aura les mêmes effets dans la cité. Nous n’avons donc plus à examiner laquelle est la plus avantageuse de la justice ou de l’injustice, car nous avons prouvé que la justice est par elle-même