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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/94

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INTRODUCTION

Bien. Ils vivront ainsi, tour à tour gouvernant d’après cette règle suprême et sacrifiant leurs aises au salut de la cité, ou jouissant du bonheur de méditer et philosopher, élevant en même temps dans cet esprit leurs futurs successeurs, jusqu’à ce qu’ils s’en aillent dans les îles Fortunées, honorés de tombeaux magnifiques et de sacrifices tels qu’on les doit à des démons ou du moins à des hommes divins (540 b).

Voilà donc formés nos gouvernants et gouvernantes. La cité et la constitution qu’ils doivent régir est assurément un idéal, mais un idéal réalisable, pourvu que l’on soit déterminé à mettre la justice au-dessus de tout et qu’on ne recule pas devant les mesures radicales. Sitôt le pouvoir en mains, notre philosophe ou nos philosophes devront en effet, pour réussir, faire table rase du passé : ils relégueront à la campagne tous les gens au-dessus de dix ans et, toute influence mauvaise se trouvant ainsi écartée, élèveront les enfants suivant les principes que nous avons établis. C’est le sûr moyen d’instaurer en peu de temps la cité parfaite et l’homme parfait (541 c). Platon est de son époque, de l’époque où l’on a peut-être le plus parlé d’épuration préalable et peut-être pratiqué avec le moins de scrupule les divers procédés de nettoyage par le vide. Le décret proposé par Cléon contre les Mityléniens (426), la destruction de Mantinée par les Spartiates (385), la cruelle politique des Trente à Athènes (403) et, tout au long des ve et ive siècles, le cruel chassé-croisé de massacres et de bannissements qui se joue dans chaque ville grecque entre aristocrates et démocrates, tout cela donne figure de réalité au fantastique projet d’éducation en serre close que Socrate formule ici et que, d’ailleurs, il nous a fait prévoir au Livre VI[1]. Mais l’impitoyable logique des réformateurs n’est-elle pas la même en tous les temps, et les radicaux de toutes sectes n’ont-ils pas toujours rêvé d’isoler ainsi l’enfance pour la façonner à leur guise et construire avec ces pierres de choix la Cité Sainte ?

  1. Cf. 492 e, 501 a, mais aussi Politique 298 d, où sont justifiés, comme moyens d’assainissement ou de rénovation, la peine de mort, l’exil, la fondation de colonies, l’apport d’habitants étrangers, et Lois 735 b-736 e, où sont distingués les moyens doux ou violents et les circonstances possibles de leur application.