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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 1.djvu/250

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LA RÉPUBLIQUE VI

quand on est soi-même sans haine et sans méchanceté ? Je préviens moi-même ta réponse, et je déclare qu’un caractère aussi revêche peut bien se rencontrer chez quelques hommes, mais non dans le grand nombre.

Je partage, dit-il, franchement ton avis.

bTu le partages donc aussi sur ce point, que, si le vulgaire est indisposé contre la philosophie, la faute en est aux intrus[1] qui ont pénétré bruyamment chez elle contre toute convenance, et qui, injurieux et hargneux les uns envers les autres, et réduisant leurs discussions à des questions de personnes, se conduisent d’une manière indigne de la philosophie.

C’est très vrai, dit-il.


XIII  En effet, Adimante, on n’a guère le loisir, quand l’esprit est vraiment occupé à contempler les essences, d’abaisser ses regards sur la cconduite des hommes, de leur faire la guerre, et de se remplir contre eux de haine et d’aigreur ; mais regardant et contemplant des objets ordonnés et immuables, qui ne se nuisent pas les uns aux autres, qui au contraire sont tous sous la loi de l’ordre et de la raison[2], on les imite et on se rend autant que possible semblable à eux ; ou crois-tu qu’il soit possible, quand on vit avec ce qu’on admire, de ne pas l’imiter ?

C’est impossible, dit-il.

Ainsi le philosophe, qui vit avec ce qui est divin et ordonné devient ordonné et divin, dautant que le comporte la nature humaine ; mais la masse le juge souvent de façon bien injuste.

Assurément.

Si donc, repris-je, quelque circonstance le contraint à essayer de faire passer dans les mœurs publiques et privées de ses semblables ce qu’il aperçoit là-haut, au lieu de se bor-

  1. Il semble bien qu’Isocrate a pris ceci pour une attaque personnelle et qu’il y répond dans l’Antidosis 260 sqq. : « Nous autres politiques, que ces gens-là disent hargneux (φιλαπεχθήμονας ; ici est la reprise du mot de Platon φιλαπεχθήμονας ἔχοντας), nous sommes beaucoup plus doux qu’eux ; car ils tiennent toujours sur notre compte des propos méprisants, tandis qu’en parlant d’eux nous ne disons que la vérité. »
  2. Cf. Euripide, fr. 902.