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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/110

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575 c
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LA RÉPUBLIQUE IX

Les petits maux, repris-je, sont petits par comparaison avec les grands ; et tous ces méfaits, comparés à la tyrannie et à la méchanceté et au malheur qu’elle apporte à un État, ne lui viennent pas, comme on dit, à la cheville. Mais quand il y a dans un État beaucoup de gens de cet acabit, et que, suivis de nombreux partisans, ils se rendent compte de leur nombre, alors ce sont eux qui, aidés par la stupidité du peuple, engendrent le tyran, et c’est celui d’entre eux qui porte en son âme le tyran dle plus grand et le plus complet[1].

C’est naturel, dit-il, puisqu’il est le plus propre à tyranniser.

Et alors ou bien le peuple cède volontairement, ou bien s’il résiste, le tyran, qui naguère maltraitait son père et sa mère, châtiera de même sa patrie, s’il en a le pouvoir : il y introduira de nouveaux compagnons, et celle qui fut autrefois chère à son cœur, sa « matrie », comme disent les Crétois, sa patrie, comme nous disons, il l’asservira à ces gens-là et la nourrira dans l’esclavage. C’est là qu’aboutira la passion de cet homme.

eC’est bien cela, dit-il.

Or ces gens-là, repris-je, ne se montrent-ils pas dans la vie privée et avant d’arriver au pouvoir tels que je vais les décrire ? Tout d’abord, quels que soient ceux avec lesquels ils vivent, ou ils ont en eux des flatteurs prêts à les servir en tout, ou, s’ils ont besoin de quelqu’un d’eux, ils se font eux-mêmes chiens couchants, 576bien décidés à jouer tous les rôles pour montrer leur dévouement, quitte à lui tourner le dos, quand ils en sont venus à leurs fins.

C’est bien vrai, dit-il.

Aussi, dans toute leur vie, ils ne sont jamais amis de personne ; ils sont toujours tyrans ou esclaves ; quant à la liberté et à l’amitié véritable, c’est un bonheur que la nature tyrannique ne goûtera jamais.

Assurément.

Dès lors n’aurait-on pas raison d’appeler ces gens-là des gens sans foi ?

Sans doute.

  1. Le tyran le plus complet qui règne en l’âme, c’est l’amour. Cf. 575 a τυραννικῶς ἐν αὐτῷ ὁ Ἔρως… ζῶν, ἅτε αὐτὸς ὢν μοναρχος κτλ. et 573 d.