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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/120

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LA RÉPUBLIQUE IX

Celui d’un de ces riches particuliers qui dans certaines cités possèdent un grand nombre d’esclaves. Ils ont cette ressemblance avec les tyrans qu’ils commandent à beaucoup de monde ; la différence n’est que dans le nombre, où le tyran l’emporte.

C’est juste.

Eh bien, tu sais que ces particuliers vivent en sécurité et ne craignent rien de leurs serviteurs.

Que pourraient-ils en craindre ?

Rien, repartis-je ; mais en vois-tu la raison ?

Oui, c’est que toute la cité prête main-forte à chacun des particuliers.

eC’est bien dit, répliquai-je. Mais si quelque dieu enlevant de la cité un de ces particuliers qui ont à leur service cinquante esclaves[1] et davantage le transportait, lui, sa femme et ses enfants, avec tous ses biens et ses serviteurs, dans un désert, où il n’aurait de secours à attendre d’aucun homme libre, dans quelles craintes, dans quelles transes t’imagines-tu qu’il vivrait, tremblant toujours d’être assassiné par ses esclaves, lui, ses enfants et sa femme ?

Il vivrait en effet, dit-il, dans des transes mortelles.

579Ne serait-il pas réduit à flatter certains de ses esclaves mêmes, à les gagner à force de promesses, à les affranchir sans nécessité, en un mot à devenir le flatteur de ses esclaves ?

Il y serait bien forcé, dit-il, sous peine de périr.

Et que serait-ce, repris-je, si le dieu établissait autour de sa demeure un grand nombre d’autres voisins, résolus à ne pas tolérer qu’un homme prétendît commander à un autre homme, et à punir du dernier supplice ceux qu’ils surprendraient à le faire ? bJe pense que son déplorable état empirerait encore, s’il était ainsi entouré de surveillants qui seraient autant d’ennemis.

Or n’est-ce pas dans une prison semblable qu’est enchaîné le tyran, avec les instincts que nous avons dépeints et cette

  1. La moyenne des esclaves d’une maison était bien inférieure à cinquante. Au ive siècle, les esclaves n’étaient guère plus nombreux que les hommes libres et les métèques (Beloch, Die Bevölk. der Gr.-Röm. Welt. p. 99).