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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/144

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585 d
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LA RÉPUBLIQUE IX

plus réel est plus réellement rempli que ce qui se remplit de choses moins réelles et qui est lui-même moins réel ?

Naturellement.

Si donc c’est un plaisir de se remplir de choses conformes à sa nature, ce qui se remplit plus réellement, et se remplit de choses qui ont plus de réalité, ejouit par là plus réellement et plus véritablement du vrai plaisir, tandis que ce qui participe de choses moins réelles se remplit d’une manière moins vraie et moins solide et goûte un plaisir moins franc et moins vrai.

La conséquence est absolument nécessaire, dit-il.

586Dès lors les gens qui ne connaissent point la sagesse et la vertu, qui sont toujours dans les festins et les plaisirs du même genre, descendent, semble-t-il, dans la basse région pour revenir ensuite jusqu’à la moyenne, et ne cessent toute leur vie d’errer de l’une à l’autre ; ils ne franchissent pas cette limite ; jamais ils n’ont levé les yeux ni dirigé leurs pas vers le haut véritable ; ils n’ont jamais été réellement remplis de l’être et n’ont jamais goûté de plaisir solide et pur ; mais regardant toujours en bas, comme les bêtes, toujours penchés vers le sol et tournés vers la table, ils s’empiffrent de pâture, se saillissent les uns les autres, et, disputant à qui aura le plus de ces jouissances, bils ruent, se cossent et se tuent avec des cornes et des sabots de fer pour satisfaire leur insatiable cupidité, parce qu’ils ne font point usage d’aliments réels et ne remplissent pas la partie d’eux-mêmes qui existe réellement et peut garder les aliments.

On croirait entendre un oracle, Socrate, s’écria Glaucon, en t’écoutant dépeindre la vie de la plupart des hommes.

N’est-ce pas une nécessité qu’ils n’aient que des plaisirs mêlés de peines, des fantômes du véritable plaisir, des ébauches qui ne prennent de couleur que si on juxtapose les plaisirs et les peines pour les crenforcer tous deux ; de là viennent les amours furieux que les insensés conçoivent les uns pour les autres et pour lesquels ils se battent, comme on se battait sous Troie, au dire de Stésichore[1], pour le fantôme d’Hélène, faute de savoir la vérité.

C’est forcément ainsi, dit-il, que les choses se passent.

  1. Sur la palinodie de Stésichore relativement à Hélène, voir Phèdre 243 a et Bergk Poet. Lyr. Gr. III, p. 214 sqq.