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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/152

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LA RÉPUBLIQUE IX

sent que nous sommes d’accord sur les effets respectifs d’une conduite injuste et d’une conduite juste.

Comment nous y prendrons-nous ? demanda-t-il.

Formons par la pensée une image de l’âme[1], pour que ce partisan de l’injustice mesure la portée de ses paroles.

Quelle image ? demanda-t-il.

cUne image, répondis-je, comme celle de ces anciens monstres dont parle la fable : la Chimère, Scylla, Cerbère et nombre d’autres qui réunissaient, dit-on, en un seul corps des formes multiples.

On le dit en effet, fit-il.

Façonne donc une sorte de monstre à formes et à têtes multiples, têtes d’animaux paisibles et têtes de bêtes féroces, rangées en cercle, et donne-lui le pouvoir de changer et de tirer de lui-même toutes ces formes.

Un pareil ouvrage, dit-il, exige un modeleur habile ; mais comme la pensée est plus facile dà modeler que la cire ou toute autre matière semblable, c’est fait : je l’ai modelé.

Modèle maintenant une autre forme, celle d’un lion, puis celle d’un homme ; mais que la première soit de beaucoup la plus grande des trois, et la deuxième ensuite.

Ceci est plus aisé, dit-il : aussi est-ce fait.

Réunis maintenant ces trois formes en une seule, de manière qu’elles ne fassent qu’un tout les unes avec les autres.

Elles sont jointes, dit-il.

Recouvre-les ensuite extérieurement d’une forme unique, la forme humaine, de manière que celui qui ne pourrait pas voir l’intérieur, eet n’apercevrait que la seule enveloppe extérieure, croie voir un être unique, un homme.

  1. L’image que Platon donne ici de l’âme sort de sa définition de la justice, subordination nécessaire des parties inférieures de l’âme à la partie maîtresse. Dans Phèdre 246 a/b, le mouvement circulaire qui emporte les dieux et les âmes vers la prairie des Idées a suggéré à Platon une autre image, celle d’une force composée d’un cocher et d’un attelage de deux chevaux dont l’un est docile et l’autre rétif à la main du conducteur. Dans le Timée 69 c/d, Platon, sans recourir à aucune image, définit l’âme par le mélange des passions qui la gouvernent. Les dieux les ont mélangées « à la sensation irraisonnée et à l’amour prêt à tout risquer. Et ainsi ils ont composé par des procédés nécessaires l’âme mortelle. »