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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/184

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LA RÉPUBLIQUE X

vertu ou toute autre chose, ne sont que des imitateurs d’images et qu’ils n’atteignent pas 601la vérité, et c’est ainsi qu’un peintre, comme nous le disions tout à l’heure, fera sans rien entendre lui-même à la cordonnerie, un cordonnier qui paraîtra véritable à ceux qui n’y entendent pas plus que lui, et qui en jugent d’après les couleurs et les attitudes.

C’est exact.

Nous dirons de même, je pense, que le poète, au moyen de mots et de phrases, revêt chaque art des couleurs qui lui conviennent, sans qu’il s’entende à autre chose qu’à l’imitation, si bien que les gens comme lui qui ne jugent que sur les mots, quand ils l’entendent parler, avec les prestiges de la mesure, du rythme bet de l’harmonie, soit de la cordonnerie, soit de la conduite des armées, soit de tout autre sujet, estiment qu’il parle très pertinemment, tant ces ornements ont en eux-mêmes de charme naturel ; car si l’on dépouille les ouvrages des poètes des couleurs de la poésie et qu’on les récite réduits à eux-mêmes, tu sais, je pense, quelle figure ils font ; tu l’as sans doute remarqué[1].

Oui, dit-il.

On peut les comparer, repris-je, à ces visages qui, n’ayant d’autre beauté que leur fraîcheur, cessent d’attirer les yeux, quand la fleur de la jeunesse les a quittés[2].

La comparaison est juste, dit-il.


Les trois arts
relatifs
au même objet.

Allons maintenant, considère ceci. Le créateur de fantômes, l’imitateur, disons-nous, n’entend rien à la réalité, il ne connaît cque l’apparence, n’est-ce pas ?

Oui.

Ne laissons pas la question à demi traitée : épuisons-la.

  1. Cf. Isocrate, Évag. III : « La mesure et le rythme ont tant de grâce que, lors même que le style et les pensées ne valent rien, les poètes n’en séduisent pas moins leurs auditeurs par la cadence et la mesure. On peut se rendre compte de leur effet, en gardant les mots et les pensées d’un poème, mais en rompant la mesure : le poème paraîtra dès lors bien au-dessous de l’opinion que nous en avons. » Cf. Gorgias 502 c.
  2. Aristote cite cette phrase comme un exemple d’image (εἰκών). Rh. III, 4, 1406b, 36 sqq.