C’est, disons-nous, la meilleure partie de nous-mêmes qui suit ainsi la raison.
Évidemment.
Mais la partie qui nous rappelle notre malheur et nous porte aux gémissements et qui ne peut s’en rassasier, ne la qualifierons-nous pas de déraisonnable, d’indolente et de lâche ?
Nous la qualifierons ainsi.
Or ce qui se prête à des imitations multiples et variées, c’est la partie irascible[1] ; eau contraire le caractère sage et calme, toujours égal à lui-même, n’est pas facile à imiter, ni, si on l’imite, facile à concevoir, surtout pour une foule en fête et pour des gens de toute sorte assemblés dans un théâtre ; car l’état d’âme dont on leur offrirait l’imitation leur est chose inconnue[2].
605Assurément.
Il est évident d’ailleurs que le poète imitateur n’est pas naturellement porté vers ce principe rationnel de l’âme, ni propre, par son talent, à lui donner satisfaction, s’il veut gagner les suffrages de la foule, mais qu’il est fait pour le caractère passionné et varié, qui est facile à imiter.
Évidemment.
Dès lors nous avons raison de nous attaquer à lui tout de suite, et de le mettre sur la même ligne que le peintre ; car il lui ressemble en ce qu’il fait des ouvrages de peu de prix, si on les rapproche de la vérité, et il lui ressemble encore par les rapports qu’il a avec bla partie de l’âme qui est de peu de prix aussi, tandis qu’il n’en a pas avec la meilleure. Aussi voyons-nous là une première raison qui nous justifie de lui refuser l’entrée d’un État qui doit être gouverné par de bonnes lois, puisqu’il réveille cette mauvaise partie de l’âme,
- ↑ Cette partie irascible (ἀγανακτητικόν) est une variété dégénérée du θὑμοειδές. Cf. III, 411 a/c. Cette remarque de Socrate s’applique particulièrement au théâtre d’Euripide, par exemple à Héraclès furieux, à Médée, aux Bacchantes, etc.
- ↑ Sur l’infirmité des jugements populaires, cf. VI, 493 c : « Que cela (ce qu’approuve la foule) soit réellement bon et beau, as-tu jamais entendu quelqu’un de cette foule en donner une raison qui ne soit pas ridicule ? — Non, dit-il et je n’en entendrai jamais. »