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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/198

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604 d
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LA RÉPUBLIQUE X

C’est, disons-nous, la meilleure partie de nous-mêmes qui suit ainsi la raison.

Évidemment.

Mais la partie qui nous rappelle notre malheur et nous porte aux gémissements et qui ne peut s’en rassasier, ne la qualifierons-nous pas de déraisonnable, d’indolente et de lâche ?

Nous la qualifierons ainsi.

Or ce qui se prête à des imitations multiples et variées, c’est la partie irascible[1] ; eau contraire le caractère sage et calme, toujours égal à lui-même, n’est pas facile à imiter, ni, si on l’imite, facile à concevoir, surtout pour une foule en fête et pour des gens de toute sorte assemblés dans un théâtre ; car l’état d’âme dont on leur offrirait l’imitation leur est chose inconnue[2].

605Assurément.

Il est évident d’ailleurs que le poète imitateur n’est pas naturellement porté vers ce principe rationnel de l’âme, ni propre, par son talent, à lui donner satisfaction, s’il veut gagner les suffrages de la foule, mais qu’il est fait pour le caractère passionné et varié, qui est facile à imiter.

Évidemment.

Dès lors nous avons raison de nous attaquer à lui tout de suite, et de le mettre sur la même ligne que le peintre ; car il lui ressemble en ce qu’il fait des ouvrages de peu de prix, si on les rapproche de la vérité, et il lui ressemble encore par les rapports qu’il a avec bla partie de l’âme qui est de peu de prix aussi, tandis qu’il n’en a pas avec la meilleure. Aussi voyons-nous là une première raison qui nous justifie de lui refuser l’entrée d’un État qui doit être gouverné par de bonnes lois, puisqu’il réveille cette mauvaise partie de l’âme,

  1. Cette partie irascible (ἀγανακτητικόν) est une variété dégénérée du θὑμοειδές. Cf. III, 411 a/c. Cette remarque de Socrate s’applique particulièrement au théâtre d’Euripide, par exemple à Héraclès furieux, à Médée, aux Bacchantes, etc.
  2. Sur l’infirmité des jugements populaires, cf. VI, 493 c : « Que cela (ce qu’approuve la foule) soit réellement bon et beau, as-tu jamais entendu quelqu’un de cette foule en donner une raison qui ne soit pas ridicule ? — Non, dit-il et je n’en entendrai jamais. »