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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/244

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LA RÉPUBLIQUE X

620C’était, disait Er, un spectacle curieux de voir de quelle manière les différentes âmes choisissaient leur vie : rien de plus pitoyable, de plus ridicule, de plus étrange ; la plupart en effet n’étaient guidées dans leur choix que par les habitudes de leur vie antérieure[1]. Il avait vu, disait-il, l’âme qui avait été celle d’Orphée choisir la vie d’un cygne, parce qu’il ne voulait pas, en haine des femmes qui l’avaient mis à mort, naître du sein d’une femme ; il avait vu l’âme de Thamyras[2] choisir la vie d’un rossignol ; il avait vu aussi un cygne changer son existence pour celle d’un homme, et d’autres animaux chanteurs faire de même. L’âme que le sort avait appelée la vingtième à choisir prit la vie d’un lion : bc’était celle d’Ajax[3], fils de Télamon, qui ne voulait plus de l’état d’homme, en ressouvenir du jugement des armes. Puis ce fut l’âme d’Agamemnon ; elle aussi, ayant pris en aversion la race humaine à cause de ses malheurs passés, échangea sa condition pour celle d’un aigle. Placée par le sort au milieu des autres, l’âme d’Atalante, ayant considéré les grands honneurs rendus aux athlètes, n’eut pas la force de passer outre, et les choisit. Après elle, il avait vu l’âme d’Épéos, cfils de Panopée, passer à la condition d’une femme industrieuse. Loin, dans les derniers rangs, il avait vu l’âme du bouffon Thersite revêtir la forme d’un singe. Enfin l’âme d’Ulysse, à qui le hasard avait assigné le dernier rang, s’avança pour choisir ; mais soulagée de l’ambition par le souvenir de ses épreuves passées, elle alla cherchant longtemps la vie d’un particulier étranger aux affaires ; elle eut quelque peine à en trouver une, qui gisait dans un coin, dédaignée par les autres. En l’apercevant, elle dit qu’elle aurait fait le même choix, dsi le sort l’eût désignée la première, et elle s’empressa de la prendre. Les animaux faisaient de même : ils passaient à la condition d’hommes ou à celle d’autres animaux, les animaux injustes dans les espèces

    dans des corps de braves gens, mais que seules les âmes amies du savoir entreront dans l’espèce divine.

  1. Cf. Phédon 81 e Ἐνδοῦνται δέ, ὥσπερ εἰκός, εἰς τοσαῦτα ἤθη ὁποῖα ἄττ' ἄν καὶ μεμελετηκυῖαι τύχωσιν ἐν τῷ βίῳ.
  2. La forme ordinaire du nom est Thamyris ; mais Platon préfère Thamyras. Cf. Ion 533 c, Lois 829 e.
  3. Le principal trait du caractère d’Ajax était le θυμός ; de là son choix de l’animal qui représente par excellence le θυμοειδές. Empé-