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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/56

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LA RÉPUBLIQUE VIII

Mais, repris-je, n’être pas contraint de commander dans cet État, même si l’on en est capable, ni d’obéir, si on ne le veut pas, ni de faire la guerre quand les autres la font[1], ni de garder la paix quand les autres la gardent, si on ne désire point la paix ; d’un autre côté commander et juger, si la fantaisie vous en prend, en dépit de la loi qui vous interdit toute magistrature ou judicature, 558de telles pratiques ne sont-elles pas divines et délicieuses sur le moment ?

Sur le moment, oui, peut-être, dit-il.

Et la sérénité de certains condamnés[2], n’est-ce pas une jolie chose aussi ? N’as-tu pas déjà vu dans un État de ce genre des hommes condamnés à la mort ou à l’exil qui n’en restent pas moins, et qui circulent en public et se promènent comme des revenants, tout comme si personne ne se souciait d’eux ni ne les voyait ?

Si, j’en ai vu beaucoup, dit-il.

bMais cette indulgence, cette extrême largeur d’esprit, et ce mépris des maximes que nous avons exposées avec tant de respect, en jetant le plan de notre cité, quand nous disions qu’à moins d’être doué d’une nature extraordinaire, on ne saurait devenir homme de bien, si dès l’enfance on ne se joue dans les belles choses et si on ne s’applique à toutes les belles études, avec quelle superbe on foule aux pieds toutes ces maximes, sans s’inquiéter par quelles études un homme politique s’est préparé à l’administration de l’État, tandis qu’il lui suffit de se dire l’ami du peuple pour être comblé d’honneurs !

cCertainement, dit-il, c’est un fort beau gouvernement.

Tels sont, dis-je, avec d’autres semblables, les avantages de la démocratie. C’est, comme tu vois, un gouvernement charmant, anarchique, bigarré, et qui dispense une sorte d’égalité aussi bien à ce qui est inégal qu’à ce qui est égal.

  1. C’est un trait de satire qui semble pris aux Acharniens d’Aristophane, où Dicéopolis fait une paix séparée avec les Lacédémoniens et se gorge de victuailles, tandis que ses compatriotes sont en butte à toutes les privations que produit la guerre.
  2. Schneider et d’autres interprètent autrement l’expression πρᾳότης ἐνίων ; ils prennent ἐνίων pour un génitif objectif équivalent à κατὰ ou περὶ ἐνίους, et traduisent la douceur envers certains condamnés ; mais il est difficile de donner au génitif une telle valeur.