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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/66

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LA RÉPUBLIQUE VIII

noms, appelant l’insolence belles manières ; l’anarchie, liberté ; la prodigalité, magnificence et l’impudence, courage. N’est-ce pas à peu près ainsi, 561continuai-je, qu’un jeune homme passe du régime des désirs nécessaires où il a été nourri au régime libre et relâché des plaisirs superflus et pernicieux ?

C’est visiblement ainsi, répondit-il.

Comment vit-il après cela ? M’est avis qu’il consacre aux désirs superflus autant d’argent, de peine et de temps qu’aux désirs nécessaires. S’il est assez heureux pour ne pas porter trop loin ses désordres, et si, le gros du tumulte s’étant apaisé avec l’âge, bil laisse rentrer des groupes d’exilés et ne s’abandonne pas tout entier aux envahisseurs, il établit alors entre les plaisirs une sorte d’égalité, et il vit en livrant le commandement de son âme au premier qui se présente, comme si le le sort en décidait, jusqu’à ce qu’il en soit rassasié, puis il s’abandonne à un autre, et, sans en rebuter aucun, il les traite sur le pied de l’égalité.

C’est vrai.

Quant à la raison et à la vérité, continuai-je, il les repousse et ne les laisse point entrer dans la garnison. Qu’on lui dise que tels plaisirs viennent cdes désirs nobles et bons, et les autres des désirs pervers, qu’il faut cultiver et honorer les premiers, réprimer et dompter les seconds, à tout cela il répond par un signe de dédain, il soutient qu’ils sont tous de même nature et qu’il faut les honorer également.

Certes, dit-il, dans la disposition d’esprit où il est, il ne peut faire autrement.

Ainsi donc, repris-je, il passe chacune de ses journées à complaire au désir qui se présente[1] : aujourd’hui il s’enivre aux sons de la flûte ; demain il boit de l’eau et s’amaigrit ; tantôt il s’exerce au gymnase, dtantôt il est oisif et n’a souci de rien ; quelquefois on le croirait plongé dans la philo-

    Grands Mystères, qu’on appelait ἅλαδε μύσται, on purifiait les initiés dans la mer. Cf. Mommsen Feste der Stadt Ath., p. 207, n. 2.

  1. Ce portrait de l’homme démocratique aux goûts changeants rappelle de près le caractère d’Alcibiade « qui laissait voir beaucoup d’inégalités et de changements », dit Plutarque Alc. 2, 1. Cf. Euripide, Hipp. 1115-1117 ῥᾴδια δ’ ἤθεα τὸν αὔριον | μεταβαλλομένα χρόνον αἰεὶ | βίον συνευτυχοίην.