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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/88

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LA RÉPUBLIQUE VIII


La garde du tyran.

C’est l’alternative où il est réduit.

N’est-il pas vrai que, plus sa conduite le rendra odieux aux citoyens, plus il aura besoin d’une garde nombreuse et fidèle ?

Sans doute.

Mais quels seront ces gardiens fidèles ? d’où les fera-t-il venir ?

On n’aura pas besoin de les appeler : ils accourront à tire d’aile, en foule, répondit-il, s’il leur paye leur solde.

Par le chien ! m’écriai-je ; tu sembles désigner par là d’autres frelons encore, edes frelons étrangers et qui viennent de partout.

Tu as bien saisi ma pensée, dit-il.

Mais dans son pays même, est-ce qu’il ne voudra pas…

Quoi ?

Enlever les esclaves à leurs maîtres et les affranchir pour les faire entrer dans sa garde ?

Assurément, répliqua-t-il ; car il ne saurait avoir de gardes plus fidèles que ceux-là.

En vérité, repris-je, c’est une bienheureuse condition que tu fais au tyran, s’il n’a que de telles gens pour amis et hommes de confiance, 568après qu’il aura fait périr ceux qui l’entouraient auparavant.

Il n’en est pas moins vrai, dit-il, qu’il n’en a pas d’autres. Comme admirateurs, repris-je, il a ces camarades-là et comme société, les nouveaux citoyens ; mais les citoyens honnêtes le haïssent et le fuient.

Comment ne le fuiraient-ils pas ?

Ce n’est pas sans raison, continuai-je, qu’on vante la tragédie en général comme une école de sagesse, et en particulier le grand maître en cet art, Euripide.

Pourquoi donc ?

C’est qu’entre autres il a prononcé cette maxime d’un sens profond, que les tyrans deviennent habiles par le commerce des habiles[1]. bIl entendait évidemment par sages ceux avec qui le tyran passe sa vie.

  1. Le vers auquel Platon fait allusion σοφοὶ τύραννοι τῶν σοφῶν συνουσίᾳ n’est pas d’Euripide, mais de Sophocle dans la tragédie perdue d’Ajax le Locrien (voir le Sophocle de Didot, p. 273). Il est évident que le poète songe aux hommes de talent que le tyran attire