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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 1.djvu/186

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LETTRE VII

vieilles et saintes traditions qui nous révèlent l’immortalité de l’âme, l’existence de jugements et de terribles châtiments à subir quand elle sera affranchie de son corps. C’est pourquoi, regardons comme un moindre mal d’être victimes de grands crimes ou de grandes injustices que de les commettre[1]. L’homme qui aspire aux richesses et qui a l’âme pauvre, n’écoute pas ce langage. S’il b l’entend, il pense qu’il doit en rire, et sans pudeur se jette de tous côtés, comme une bête sauvage, sur tout ce qu’il peut manger ou boire, ou tout ce qui est capable de lui procurer jusqu’à satiété l’indigne et grossier plaisir que l’on appelle à tort l’amour[2]. Aveugle qui ne voit pas auxquelles de ses actions s’attache l’impiété, quel mal est toujours lié à chacun de ses crimes, impiété que nécessairement l’âme injuste traîne avec elle, et sur cette terre et sous c terre, dans toutes ses honteuses et misérables pérégrinations. C’est donc par ces discours, ou d’autres du même genre, que je persuadais Dion. J’aurais ainsi de justes motifs de m’indigner contre ceux qui l’ont tué, tout autant que contre Denys : ils m’ont causé, les uns et les autres, le plus grave dommage, à moi, et, je puis le dire, à tous les hommes. Les premiers ont mis à mort un homme qui voulait réaliser la justice ; le second s’est détourné de la justice durant tout son règne. d Il avait pourtant le pouvoir suprême, et, s’il avait uni vraiment dans une seule personne la philosophie et la puissance, il aurait fait éclater aux yeux de tous, Grecs et Barbares, et aurait suffisamment gravé dans l’esprit de tous cette vérité que ni cité ni individu ne sauraient être heureux sans une vie de sagesse commandée par la justice, soit que d’eux-mêmes ils possèdent ces vertus, soit qu’ils aient été élevés et instruits de juste manière dans les mœurs de quelques maîtres pieux. Voilà le tort causé e par Denys ; tout le reste compte peu pour

  1. C’est le thème de Gorgias et de la République. La justice étant la vertu principale, c’est un plus grand mal de commettre l’injustice que de la subir, et quand on a le malheur de la commettre, il faut souhaiter le châtiment pour ramener l’âme à son état de pureté primitive. — À la fin de Gorgias, Platon appuie sa thèse par une de ces « vieilles et saintes traditions » qui affirment l’existence des jugements et des sanctions après la mort. « C’est un beau discours, écrit le philosophe. On croit que c’est un mythe, mais je le donne comme une vérité » (522 e, 523 a).
  2. Cf. Gorgias, 493 e ; Phédon, 81 b.