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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 1.djvu/63

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LETTRE VII

déchirer à belles dents les interlocuteurs (VII, 539, b, c), — ou encore ce procédé d’argumentation calme, honnête, que réclamait de ses adversaires l’Étranger du Sophiste (246 d) ? La dialectique pèse en tout problème le pour et le contre ; elle examine le vrai et le faux, car, évidemment, voyant par où les hypothèses insuffisantes sont fausses, nous sommes orientés vers les véritables. Telles sont encore les recommandations que Platon fait dans les Lois au législateur à propos des chants et des danses : « On ne peut, pour bien juger, connaître le sérieux sans connaître le ridicule, ou les contraires sans connaître leurs contraires » (VII, 816 d). — La dialectique, dans une âme bien disposée, corrigera ainsi toutes les inexactitudes partielles des expressions de la pensée, mots, définitions, images, et le résultat de cette gymnastique intellectuelle sera cette intuition du vrai qui est expérience personnelle et que l’on ne peut, telle quelle, transmettre à autrui. C’est au bout de cette longue série d’étapes que l’on parviendra à la science suprême, au μέγιστον μάθημα dont parle la République, ou à la science finale du Banquet, le τοῦ καλοῦ μάθημα, conquête laborieuse de l’esprit, mais conquête inamissible. — Voilà pourquoi on ne peut écrire un livre sur la science, et voilà pourquoi quand on a composé un ouvrage, il ne faut pas s’imaginer qu’on a pu, au moyen de mots et de phrases, reproduire toute la complexité du réel, avec ses infinies relations.

Tel nous paraît être le sens du passage philosophique de la lettre. Il ne s’agit nullement d’une doctrine ésotérique, plus ou moins mystérieuse et totalement étrangère à la manière de Platon. On ne trouve ici ni plus ni moins que la théorie exposée par le Phèdre, dont la 7e lettre semble se faire l’écho[1].

Là aussi, le philosophe insiste sur l’insuffisance de l’écriture ou de la peinture, en un mot de toute expression sensible de la réalité : « Celui qui pense communiquer un art au moyen de caractères et de même celui qui croit puiser dans des écrits une science claire et ferme (ὥς τι σαφὲς καὶ βέβαιον) a vraiment trop de naïveté… » (275 c). Tout mode de transmission de

  1. Je reprends ici un argument que j’ai déjà exposé dans mon article Pour interpréter Platon, in Archives de Philosophie, Paris, Beauchesne, 1923, volume I, cahier I, pp. 6-24. Cf. p. 20 et 21.