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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/102

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225 c
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HIPPARQUE OU L’HOMME CUPIDE

réponds comme si je reprenais depuis le début mes interrogations. N’admets-tu pas que l’homme cupide connaît la valeur de ce dont il compte tirer profit ?

Le disciple. — Si.

Socrate. — Quel est donc l’homme qui connaît la valeur des plantes et qui sait « en quel temps, en quel champ » il convient de les planter, — pour employer, nous aussi, les doctes expressions dont nos habiles avocats enjolivent leurs phrases[1] ?

dLe disciple. — C’est, je suppose, l’agriculteur.

Socrate. — Par « estimer gagner », entends-tu autre chose que juger qu’on doit gagner ?

Le disciple. — C’est cela même que j’entends.

226Socrate. — N’essaie donc pas, toi qui es encore si jeune, de me tromper, moi un vieillard déjà, en me répondant, comme tout à l’heure, ce que tu ne crois pas toi-même, mais dis-moi la vérité. Est-il possible que celui que tu regardes comme un bon agriculteur et qui sait que sa plantation ne vaut rien, s’imagine devoir en tirer un gain ?

Le disciple. — Non certes, par Zeus.

Socrate. — Mais encore, le cavalier qui donne sciemment à son cheval du fourrage qui ne vaut rien, ignore-t-il, selon toi, qu’il abîme son cheval ?

Le disciple. — Mais non.

bSocrate. — Il ne croit donc pas faire un gain avec ce fourrage qui ne vaut rien.

Le disciple. — Pas du tout.

Socrate. — Et encore, le pilote qui équipe son vaisseau avec des voiles et un gouvernail qui ne valent rien, ignore-t-il,

    fois dans la suite du dialogue. Voir 225 b, c, d, 226 c. Socrate obligera son interlocuteur à préciser sa pensée et lui fera avouer que l’expression ἀξιοῦν κερδαίνειν correspond à celle-ci : οἴεσθαι δεῖν κερδαίνειν (225 d).

  1. Les rhéteurs affectionnaient ces assonances curieuses qu’ils produisaient en altérant des syllabes ou des lettres. Ces procédés ont été définis et classés par les grammairiens, sous les noms de παρανομασία, ὁμοιοτέλευτον, πάρισον (cf. Waltz, Rhetores graeci, VIII, pp. 475, 476, 484). Gorgias paraît avoir été l’initiateur du genre (Waltz V, 55 1). Thucydide, Socrate l’ont imité. Platon s’est amusé