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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/242

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THÉAGÈS

et que nous lui demandions : « des gens habiles en quoi ? » Que nous répondrait-il ? « Dans la science culinaire », n’est-il pas vrai ?

Théagès. — Oui.

Socrate. — Et s’il nous disait :

Habiles sont les lutteurs par la fréquentation des gens habiles,

à notre demande : « des gens habiles en quoi ? », ne répondrait-il pas : d« des gens habiles à lutter » ?

Théagès. — Oui.

Socrate. — Et puisqu’il dit :

Habiles sont les tyrans par la fréquentation des gens habiles,

à notre demande : « de quelle sorte d’habileté, veux-tu parler, Euripide ? » Que répondrait-il ? Par quoi expliquerait-il cette habileté ?

Théagès. — Ma foi, je n’en sais rien.

Socrate. — Veux-tu que je te le dise ?

Théagès. — Si tu veux bien.

Socrate. — Par la science qu’Anacréon reconnaissait à Kallikritè. Ne sais-tu pas la chanson ?

Théagès. — Si certes.

Socrate. — Eh bien ! voilà donc la société que tu désires, celle d’un homme qui exerce ele même art que Kallikritè, fille de Kyanè[1], et qui « sache les choses tyranniques », comme d’elle l’affirme le poète, et cela, pour devenir, toi aussi, notre tyran et celui de la cité ?

Théagès. — Voilà longtemps que tu railles, Socrate, et que tu me plaisantes.

Socrate. — Comment, n’est-ce pas cette science qui te permettrait de gouverner tous tes concitoyens ? Et ce faisant, que serais-tu, sinon un tyran ?

    est de Sophocle, et il semble l’avoir lue dans la tragédie, aujourd’hui perdue, qui avait pour titre Ajax de Locrus. Plusieurs auteurs anciens confirment le renseignement du scoliaste (v. g. Aristid. II, 288, 2 ; Aulu-Gelle, XIII, 68 ; Liban. Epist. 33. Voir G. Wagner, Fragmenta Euripidis, édit. Didot, p. 871).

  1. Kyanè était la fille de Liparos l’ancien roi des Ausoniens, et l’épouse d’Éole. Avec sa fille Kallikritè, elle passait pour habile dans l’art du gouvernement et exerça le pouvoir sur une partie des États de Liparos. Cf. Diod. V, 7.