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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/70

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SECOND ALCIBIADE

Socrate ? À moi, il me paraît tout à fait hors de propos.

Socrate. — Il vient, au contraire, très à propos. Mais, mon cher, c’est une espèce d’énigme[1] : telle est, du reste, la manière de ce poète et de presque tous les autres. Par nature, toute poésie est, en effet, énigmatique, et il n’est pas donné à n’importe qui d’en saisir le sens[2]. cDe plus, outre ce caractère naturel, quand elle s’empare d’un homme jaloux et qui loin de vouloir découvrir, veut cacher le plus possible sa sagesse, on ne saurait croire combien il paraît difficile de comprendre la pensée de ces hommes. Homère, le divin et sage poète, n’ignorait nullement, tu n’en doutes pas, qu’il est impossible de savoir mal (car, c’est lui qui disait de Margitès qu’il savait assurément bien des choses, en ajoutant : il les savait toutes mal). dMais je suppose qu’il parle par énigmes et emploie l’adverbe mal pour le substantif mal et la forme : il savait pour savoir : cela donne, il est vrai, un vers incorrect, mais voici la pensée qu’il veut exprimer : il savait beaucoup de choses, mais c’était un mal pour lui de savoir tout cela. Il est donc clair que si c’était un mal pour lui de savoir beaucoup de choses, il se trouvait être un mauvais homme, si, du moins, nous devons ajouter foi aux discours précédents.

eAlcibiade. — Mais il me le semble, Socrate, et je ne vois pas à quels raisonnements je croirais, si je ne croyais à ceux-ci.

Socrate. — Et tu as raison d’y croire.

Alcibiade. — Oui, encore une fois, j’y crois.

Socrate. — Mais voyons, par Zeus, (car tu n’es pas sans remarquer la grandeur et la nature de la difficulté, et tu m’as tout l’air, toi aussi, d’en être touché. Ballotté, à droite et

    (μάγρος), rempli d’idées bizarres et incapable d’entreprendre quoi que ce soit d’utile. Dans le passage rapporté par Aristote (Eth. Nic. Ζ, 7, 1141 a, 15) et complété par Clément d’Alexandrie (Strom. I, ch. III, 25, 1), Homère le dépeint ainsi : « Les dieux n’avaient fait de lui ni un travailleur de la terre, ni un laboureur, ni un homme habile en quoi que ce soit, mais il était maladroit dans tous les métiers ».

  1. Platon affectionne cette formule moitié ironique, pour introduire une citation de poète ou de moraliste dont il va donner une interprétation très personnelle et peu conforme au sens littéral (cf. Charmide, 162 a ; Lysis, 214 d ; Rép. I, 332 b).
  2. Si la poésie dérobe aux profanes son sens véritable et profond, c’est qu’elle est, par nature, supra-rationnelle et divine. La