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Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/205

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LIVRE SIXIÈME.


forme. La cause pour laquelle la matière n’est pas toujours contenue par la même forme ne doit pas être cherchée dans la matière, mais dans les formes que reçoit la matière. En quel sens donc dit-on que la matière fuit la forme ? Fuit-elle la forme toujours et par sa nature ? Cette assertion revient à dire que la matière, ne cessant jamais d’être elle-même, a la forme sans l’avoir jamais. Sinon, on ne saurait attacher à cette assertion aucun sens raisonnable. La matière, dit Platon, est « la nourrice, le réceptacle de la génération[1]. » Si la matière est la nourrice et le réceptacle de la génération, elle est évidemment autre chose que celle-ci. Il n’y a que ce qui est susceptible d’être altéré qui tombe dans le domaine de la génération. Or, comme la matière, étant la nourrice et le réceptacle de la génération, existe avant elle, elle existe aussi avant toute altération. Donc dire que la matière est la nourrice et le réceptacle de la génération, c’est la conserver impassible. C’est à la même idée que se rattachent encore ces assertions, que la matière est ce dans quoi apparaissent les choses engendrées et dont elles sortent[2], qu’elle est le lieu [éternel], la place [de toute génération][3].

En appelant avec raison la matière le lieu des formes, Platon n’attribue aucune passion à la matière ; il indique seulement que les choses se passent d’une autre manière. De quelle manière ? Puisque la matière ne peut par sa nature être aucun des êtres, qu’elle doit fuir l’essence de tous les êtres, en être complètement différente (car les raisons séminales sont des êtres véritables], elle garde nécessairement sa nature en vertu de cette différence même. Elle doit donc non seulement ne pas contenir les êtres, mais encore ne pas s’approprier ce qui en est l’image : car c’est ainsi

  1. Voy., Platon, Timée, p. 49.
  2. Voy. ci dessus § 11, p. 150, note 1.
  3. « Enfin il y a une troisième espèce, celle du lieu éternel, ne pouvant jamais périr, donnant place à toutes les choses qui reçoivent la naissance. » (Platon, Timée, p. 52.)