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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/171

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CINQUIÈME ENNÉADE.


le créateur, qui est première et immatérielle, ne serait pas la beauté, et aurait besoin, pour le devenir, de se trouver unie à la matière[1] ? Mais si la masse, en tant que masse, était belle, il s’en suivrait que la raison créatrice ne serait pas belle parce qu’elle ne serait pas masse. Si la forme, qu’elle se trouve dans un objet grand ou dans un objet petit, touche et émeut également l’âme de celui qui la considère, évidemment la beauté ne dépend pas de la grandeur de la masse. En voici encore une preuve : tant que la forme de l’objet reste extérieure à l’âme et que nous ne la percevons pas, elle nous laisse insensibles ; mais dès qu’elle pénètre dans l’âme, elle nous émeut. Or il n’y a que la forme qui puisse pénétrer dans l’âme par les yeux : car de grands objets ne sauraient entrer par un espace aussi étroit. À cet effet, la grandeur de l’objet se contracte, parce que ce qui est grand, ce n’est pas la masse, c’est la forme[2].

Ensuite, il faut que la cause de la beauté soit ou laide, ou belle, ou indifférente. Laide, elle ne saurait produire son contraire ; indifférente, elle n’aurait pas plus de raison pour produire le beau que le laid. Donc la nature qui produit tant de beaux objets doit posséder elle-même une beauté fort supérieure. Mais, comme nous n’avons pas l’habitude de voir l’intérieur des choses, que nous ne le connaissons pas, nous nous attachons à leur extérieur, ignorant que c’est au dedans d’elles que se cache ce qui nous émeut ; semblables à un homme qui, voyant son image et ne sachant d’où elle vient, voudrait la saisir[3]. Ce n’est pas la masse d’un objet

  1. Il y a dans le texte : ἀλλ’ εἰς ἓν οὖτος (all’ eis hen outos). Ficin traduit : « sed in unum hæc ipsa redigitur ; » et Creuzer : « sed illa ratio quæ cum materia in unum coit. » Nous avons suivi le sens proposé par Creuzer. M. Kirchhoff a purement et simplement supprimé les mots qui font difficulté.
  2. Voy. Enn. II, liv. VIII, § 1 ; t. I, p. 851.
  3. C’est une allusion à la fable de Narcisse. Voy. Enn. I, liv. VI, § 8 ; t. I, p. 110.